Marianne DE WIL, Edmond BAUDOIN, Un pas de deux, Angoulême, Les Mains sales, 2016, 56 p., 45 € ISBN : 979-1-092-97708-0
Marianne De Wil est peintre et décoratrice. Fascinée par les mots, elle a créé des décors de théâtre et mis en scène des expositions littéraires. Depuis longtemps, elle écrit aussi, des poèmes, des contes, des nouvelles, des textes courts. Aujourd’hui, ce sont ses mots qui sont mis en livre. Des textes brefs, qui s’imposaient à elle, textes d’urgence ou d’émotion, dictés par le quotidien d’une relation amoureuse. Un pas de deux, son premier livre publié, a une histoire particulière. Pendant 8 ans, elle a envoyé à Edmond Baudoin, dessinateur et auteur de bandes dessinées, des fragments que celui-ci a décidé un jour d’accompagner de dessins.
C’est l’histoire d’une passion amoureuse à partir des poèmes écrits en réaction, des textes de tendresse ou de détresse, de joie ou de déchirement, suivant les aléas de la vie, des doutes et des interrogations. Les sentiments sont décrits avec finesse mais aussi avec la violence de la passion et l’exigence de vérité.
Ces poèmes-cris rédigés sans unité d’intention et sur une assez longue période témoignent cependant d’une étonnante cohérence d’inspiration et d’un imaginaire littéraire complexe. Les variations sur des thèmes et sur des images récurrentes donnent une épaisseur à ce livre, permettant de voir s’ébaucher des chemins de traverse entre les poèmes. Il y a ainsi de très belles modulations sur les thématiques de l’enveloppement et du creusement, du rapport complexe de l’intérieur et de l’extérieur, qui se déclinent en des poèmes sur le creux, le pli, le ravin, mais aussi la noix, en écho l’un à l’autre. Riche aussi est cette manière de faire sentir l’ambivalence des choses et des sentiments, par exemple dans l’interrogation sur le je et l’autre, l’origine et la fin, le vide, les valeurs contrastées des couleurs blanche et rouge en leurs sens métaphoriques.
De l’articulation des textes et des dessins se dégagent une narration, une véritable histoire de cet amour, de l’incertitude des attentes et des sentiments.
Mais surtout, ce qui frappe c’est la subtilité du travail sur les mots. Sur les sons d’abord, dans la répétition et la scansion, qui donne un aspect très musical à plusieurs poèmes. Ensuite, le sens se modifie par les variations, parfois ténues, sur la matière sonore. Enfin, le travail sur les graphies particulièrement variées des poèmes contribue à complexifier le sens. (Par exemple, le glissement de sens à partir de l’écœurement compris finalement comme l’é-cœurement, le fait d’« ôter le cœur ».)
Quant aux dessins d’Edmond Baudoin, ils jouent du prolongement ou du contrepoint, habitant les blancs laissés entre les textes envoyés au long de ces 8 ans. Ils contribuent ainsi à créer un effet de narration qui redouble celui que suscite déjà l’agencement des poèmes.
Un livre atypique et séduisant. Le volume d’une superbe qualité éditoriale est publié par une maison d’édition d’Angoulême qui est aussi atelier de sérigraphie, Les mains sales.
Joseph Duhamel