Petite fugue funéraire

Claude DONNAY, La route des cendres, M.E.O., 2017, 179 p., 17 €   ISBN : 978-2-8070-0105-3

donnayIl est des récits qui vous embarquent sans précaution inutile, sans que soit mis le contexte et le décor planté. Et ce n’est pas plus mal car nous apprenons le nécessaire en route. Au petit matin, David s’apprête à quitter sa maison de la banlieue de Paris et avec son départ s’ouvre le récit. Il prend le chemin de la gare comme il le fait chaque jour, pour rejoindre son travail.  Sauf que cette fois, il ne s’y arrête pas. Il tient la direction du Nord, comme on prend la tangente, animé d’une force que rien n’arrête. La marche lui est bienfaisante, elle vient à point pour libérer son esprit, pour lui permettre de se vider de son passé, de se retrouver face à lui-même. En lui emboîtant le pas, nous saurons peu à peu ce qui a mis cet homme en mouvement, les raisons de sa fuite, les menaces qui pèsent désormais sur lui, la promesse qu’il veut accomplir.

Très vite, à mesure que les kilomètres défilent, une figure s’impose au doux nom de Serena, sa compagne. D’elle, nous saurons la sensualité et son plaisir de vivre avant que s’amoncellent les nuages, qu’elle s’amourache de cet enfoiré de voisin, qu’elle vive une passion torride avec lui et que l’envie de manger la quitte, jusqu’à ce qu’elle ne soit plus que l’ombre d’elle-même. David nous dira sa douleur vive avant de nous livrer la lourde vérité. Entretemps, il nous entretiendra de Kerouac auquel le mouvement de la marche le relie et surtout de ses rencontres au fil du chemin. Le marcheur solitaire occupe un poste d’observation idéal des mœurs humaine : il est tantôt malmené, tantôt accueilli, et au mieux câliné par celles qu’il croise et qui parfois lui offrent le gîte. Au terme de son périple et de ses aveux, seul face à la mer d’une île hollandaise, il est prêt à assumer sa promesse, puis à reprendre pied dans sa propre vie et à régler ses comptes avec les lois des hommes.

Ce récit bien rythmé et intense est l’œuvre d’un auteur familier du monde de la poésie, art dans lequel il est actif depuis plus de vingt ans et au sein duquel son savoir-faire est reconnu. Après quelques nouvelles remarquées, il a fait le grand saut vers le roman, fort de sa maîtrise évidente de l’écriture. Il en résulte une œuvre riche en images et à la dense musicalité, qualités qui finissent de conférer une intensité digne non dénuée de charme à la confession d’un homme meurtri.

Thierry Detienne