Souvenirs de toute une vie

Philippe MARCHANDISE, Le soupir de la paruline, Mols, 2017, 365 p., 21,90€, ISBN : 978-2-87402-235-7

marchandiseSous le soleil de la Caroline du Sud, Shirley s’apprête à fêter ses 70 ans, entourée de ses 3 enfants. Elle a été mariée durant plus de 40 ans avec John, avec qui elle a partagé sa passion pour le golf, un sport qui les a aimantés et qui a rythmé leur vie de couple. Issus tous les deux d’une famille de golfeurs, ils se sont rencontrés tout naturellement sur le green et ont frappé des balles aux 4 coins du monde.

John était un amateur digne d’un professionnel. Il était à l’affût du matériel adéquat, mais dès qu’il avait trouvé le club qui lui convenait, il ne s’en séparait plus. Il y a du fétichisme dans le golf. Il fut l’un des premiers à essayer les clubs en graphite. Mais c’était sur les balles qu’il se montrait intraitable. Il prétendait qu’elles faisaient toute la différence. Il était capable de faire deux cents miles jusqu’à Philadelphie pour acheter le dernier modèle. John ne jouait qu’avec des balles neuves, sauf au practice. Il en prenait grand soin, comme le berger de ses brebis. Jamais il n’a perdu une balle sur un parcours !

Veuve depuis quelque temps, Shirley est touchée par la solitude et la vulnérabilité de la vieillesse, elle replonge dans ses souvenirs et s’interroge sur la vie.

Mais j’avais le cœur gros. Les enfants n’étaient pas venus. Cela faisait plus de trois ans que John était mort. Je découvrais que les grandes fêtes étaient comme un coup de poignard dans le ventre des isolés. Il fallait s’apprêter, sortir de la maison, affronter le regard des autres, sourire et engager des conversations comme si de rien n’était. J’avais l’impression que personne autour de moi n’avait la moindre idée de ce qu’était la solitude.

Shirley a sincèrement aimé son mari, qui lui a offert les plus tendres années de sa vie, mais elle s’apprête à revoir son premier amour, Arthur, un beau rouquin aux yeux indigo avec qui elle avait rompu dans sa jeunesse sans vraiment savoir pourquoi.

De l’histoire, il vaut mieux ne pas en dire plus et vous laisser la découvrir. Philippe Marchandise nous offre un roman qui retrace la vie de Shirley avec une précision documentaire aux accents balzaciens. À travers une kyrielle d’anecdotes se succédant sans transition et ponctuées de citations de tubes américains, l’auteur nous plonge dans la jeunesse de la protagoniste, son histoire familiale et conjugale, mais il dévoile aussi certains pans de l’histoire des États-Unis à travers le regard de Shirley (histoire de l’esclavage, inégalités raciales, attentats du 11 septembre,…).

Vous l’aurez compris, Le soupir de la paruline est un récit essentiellement rétrospectif où il y a peu de tension dramatique, l’intérêt résidant dans le dévoilement progressif du parcours de Shirley dans une Amérique en mutation, avec en filigrane la question du temps qui passe. Shirley peut-elle encore aimer une dernière fois ? N’est-il pas trop tard ? La paruline chantera-t-elle un dernier hymne à l’amour sur l’île de Hilton Head ?

Séverine Radoux