Un nid d’effrayants dermestes

Astrid CHAFFRINGEON, Cueillir ses rires comme des bourgeons, Avant-Propos, 2017, 168 p., 20€, ISBN : 978-2-39000-047-1

chaffringeonClaire, une traductrice bordelaise, doit laisser partir la prunelle de ses yeux. Son fils, Sacha, s’en va à Pune, en Inde, pour poursuivre son cursus scolaire. Elle craint ce départ, elle qui a vu tant d’êtres aimés disparaître. Elle a élevé son fils seule, le père s’étant tué en voiture alors qu’elle était encore enceinte de Sacha. Fait étrange : ses propres parents sont également morts quelques semaines plus tard dans un accident de voiture.

La mort, l’absence et les disparitions rôdent et charrient avec elles une imagerie crépusculaire. Une ruée de scarabées, de coléoptères et bêtes en tout genre ne cessent de se ruer sur Claire, tandis qu’une araignée lui grignote doucement le cerveau. Cet ultime abandon finira-t-il par fermer son caveau ? Pour occuper son esprit, notre héroïne aux fêlures béantes décide d’échanger sa seconde résidence du Cap-Ferret contre une maison sur l’île du Morbihan.

Alors que Sacha s’envole pour l’Inde, sa mère arrive dans la maison d’Estelle. Elle a le cœur gros, mais s’occupe autant qu’elle peut et tente de profiter d’une vie de loisirs et de détente, entre balades sur la plage, cours de poterie et verres amicaux avec les gens du coin. Elle fait la connaissance d’un homme, Benoît.

Pendant ce temps, Estelle se plaît dans la région bordelaise où elle se rend pour le boulot, et fait la connaissance des amis de Claire, notamment de Noëlle et de Paul qui deviennent amants. Au même moment, sa belle-sœur, Sylvie, retrouve une raison de vivre en enquêtant sur l’étrange disparition de sa femme de ménage. Peu à peu, le roman bascule dans une autre réalité et pénètre des méandres surnaturels. Claire découvre les carnets intimes d’Estelle et commence à suivre ses pérégrinations bordelaises à travers ses cahiers qui, de jour en jour, se remplissent des mots d’Estelle. Une correspondance épistolaire entre les deux femmes verra-t-elle le jour ? À Bordeaux, d’inquiétants événements se succèdent. Claire craint pour la vie de Noëlle. La mort frappera-t-elle une fois encore ?

Ainsi résumée, l’histoire pourrait paraître assez classique. Il n’en est rien. Ce premier roman d’Astrid Chaffringeon est très réussi et se montre en vérité exigeant. Style, langue et forme sont pointus, minutieux et singuliers. L’auteure navigue avec maîtrise entre réalité et surréalisme. Les digressions et descriptions métaphoriques laissent place à un univers halluciné et caverneux aux accents lynchiens. Astrid Chaffringeon utilise un océan d’images oniriques qui sentent la terre, qui fourmillent et grattent comme des petits insectes, qui collent à la peau comme des sangsues gênantes. Tout au long de la lecture, un certain malaise s’installe. On sent que quelque chose ne tourne pas rond. Mais nous n’en dirons pas plus, si ce n’est que le final est tout simplement à couper le souffle.

Émilie Gäbele