La parade des jouets

Nicolas ANCION, Nous sommes tous des playmobiles, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2017, 206 p, 8,5 €, ISBN : 978-2875682680

ancion.jpgLa collection « Espace Nord » accueille dans son conservatoire la réédition du recueil de nouvelles Nous sommes tous des playmobiles, de Nicolas Ancion, auteur prolifique et visité par un imaginaire d’une large et signifiante originalité. Recourir aux playmobiles, ces figurines destinées à vivre tous les caprices de la créativité enfantine, donne le ton de ce texte régi par l’ironie du sort et la manière pour les personnages qui en sont les jouets de réagir à ses manifestations anodines en apparence, mais souvent génératrices d’effet papillon. Ainsi une tache de sauce sur une chemise peut conduire au bouleversement de toute une vie familiale comme un simple quiproquo peut mener au crime. Les « victimes » de ces aléas du destin n’en sont pas pour autant de belles âmes et peuvent en tirer profit avec un cynisme jubilatoire comme dans « Moi, je dis qu’il y a une justice » ou « J’apprends à bien tuer ». Et comment ne pas lire avec un sourire vaguement complice et un brin de malice la nouvelle déjantée intitulée « Bruxelles insurrection » où deux jeunes « terroristes » du cru enlèvent et malmènent durement un vieil académicien français pour lui faire apostasier son intégrisme du verbe, cet autre terrorisme  condamné par les deux libertaires de la langue avec une verdeur jouissive quoique fort incivile :

Hexagone étriqué, qui t’a jamais autorisé à asseoir ton gros cul sur le trône de la langue française ? Qui t’a donné le pouvoir sur tous les francophones de la planète, à toi vieille garce qui conserves ta langue comme on embaume un mort ?

C’est qu’en fait liberté, rébellion et « parade » au sens pugilistique du terme, se manifestent autant que les protagonistes en ont la possibilité  dans l’espace réduit où ils s’affrontent au déterminisme installé par le maître du jeu et des stratégies aléatoires de son armée en plastic.

Au fil des récits, transparaissent aussi nombre d’images d’une enfance qui ne saurait être tout à fait étrangère à celle de l’auteur, par ailleurs très prégnante dans l’ensemble de son œuvre. Ainsi l’épopée fantastique de « Georges et les dragons » est-elle inspirée au narrateur par la vignette ornant les paquets de cigarettes Saint-Michel fumées par son père.

Faut-il voir par ailleurs une sorte de caprice de galopin défiant l’intellectualisme avec jubilation dans certains jeux de mots dignes à vrai dire des prouesses d’almanach les plus hardies? Comme, par exemple, voir les heures « filant comme des bas de femme» ou se sentir « aussi couvert qu’une  fourchette »….

Quant à la postface minutieusement analytique de Stéphanie Biquet, elle se conclut, à propos du comportement foutraque ou foncièrement répréhensible des personnages,  sur ce propos aussi absolutoire que judicieux pour leur concepteur (comme d’ailleurs pour la grande majorité des auteurs) : « Certes, le miroir montre parfois la fange, mais il n’est pas question d’accuser le miroir… ».

Ghislain Cotton