« Même si l’on est différents… »

COLLECTIF CITOYENS SOLIDAIRES DE NAMUR, Lignes de vie. Des migrants et des citoyens se rencontrent, Éditions namuroises, 2018, 120 p., 12€, ISBN : 978-2-87551-0884

Le Collectif « Citoyens Solidaires de Namur » est né d’une mort, confondante, celle du petit Aylan échoué sur une plage le 3 septembre 2015. « Tu as été le déclic de notre mobilisation : nous avons voulu transformer nos indignations stériles en énergie constructive… pour dire à ceux qui te suivraient sur cette route qu’ici ils trouveraient un accueil humain. » En parallèle de l’ouverture du Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile géré par la Croix-Rouge à Belgrade (commune namuroise), des mains et des cœurs se sont donc spontanément rassemblés pour créer du lien. Dans un joyeux bazar, cette « association de faits » bat aux pulsations de collectivité, de responsabilisation et d’humanité.

C’est d’abord les multiples facettes de ce regroupement d’hommes et de femmes qu’illustre l’ouvrage Lignes de vie : les banderoles « Welcome », les chauffeurs et les accompagnateurs bénévoles  ; les collectes (d’aliments, de vêtements, d’objets…) et les tris qui s’en suivent ; les cours de français et les déjeuners-rencontres entre citoyens d’ici et de là-bas car « sur nos tables, on dépose ce que l’on est, ce que l’on a ou pas, des paroles et douceurs » ; les ateliers d’expressions corporelles et artistiques (à travers la photographie, le dessin, la danse, etc.), les sorties culturelles et sportives ; la ludothèque et la bibliothèque « pour faire pousser des rêves, pour mettre des mots » ; la transmission de savoirs tous azimuts (tricot, réparation de vélos, potager, etc.). Toute impulsion est heureuse si elle sert à « créer des ponts, ouvrir des fenêtres sur le monde, ouvrir les esprits, défaire les préjugés ». Et le plaisir, ici, est de lire ces initiatives en mots mais également en images : sur des clichés (en noir et blanc, ou en couleurs), il y a des gens ensemble, qui sourient, dansent, apprennent, échangent, se saluent, manifestent, jouent, se touchent, parlent, chantent, observent, transmettent… vivent. « Des fils de tous ceux qui sont venus, qui ont donné du temps, une idée, un regard… Un doux fil de laine quand d’autres tissent des fils de haine. »

Arrivent ensuite des témoignages, puissants, sobres. En effet, avec le temps passé en contact, des mots ont été posés, émis, reçus. Et certains ont été recueillis avec respect et pudeur pour ce livre, « c’est une nécessité absolue que de pouvoir partager avec une autre personne son vécu ». Les mots émanent d’enfants, d’adolescents et d’adultes, seuls ou accompagnés, sous leur identité propre ou un nom d’emprunt, venant d’Afghanistan, d’Irak, de Palestine, de Syrie, d’Algérie, du Sénégal, du Cameroun, d’Éthiopie, d’Érythrée, de Côte d’Ivoire et de Colombie. Ils racontent la guerre, l’injustice, la perte, la fuite, l’exil, la mort, la mort, les morts, la violence, le désespoir, comme Pascal : « La mer, c’est terrible. Je trouve que les gens qui ont réussi à traverser, il faudrait les dorloter, comme des nouveau-nés. Qu’ils puissent oublier, si c’est possible. Moi, je crois que les souvenirs resteront toujours. La guerre, la mer, la route. Je raconterai à mes enfants plus tard, mais ils ne comprendront pas. C’est trop difficile. » Ils évoquent aussi leur réalité quotidienne en Belgique, l’absence des leurs, le manque du pays, l’adaptation, les difficultés administratives, les joies et les peines, l’espoir, comme la jeune Lana : « Ici, en Belgique, ce que j’aime, c’est qu’il n’y a pas la guerre. On est en sécurité, ici. J’aime bien la nature, aussi. Il y a parfois des gens racistes, mais aussi des gens gentils. » En miroir, une place est également dévolue aux membres du Collectif, vecteurs, passeurs de paroles et d’émotions. Ils s’expriment, plus concisément, sur ce qui les anime, leur « besoin vital d’être là pour eux »… Ce reflet persistant (« Où est l’Autre ? Quel Autre ?… Petit à petit, ils sont des nôtres ») est mis en forme et en couleurs par de nombreux pinceaux et crayons-amis, qui injectent puissance, délicatesse et générosité dans des compositions graphiques originales.

Le livre se clôt sur des mises au point contextuelles, sémantiques et historiques tout à fait salutaires. De petites piqûres de rappel concernant la procédure de demande d’asile, les dénominations qui étiquettent les migrants (« réfugiés », « illégaux », « MENA », etc.) et les flux migratoires inscrits dans l’ADN de l’histoire humaine. Des lectures, des chansons, des films et des exploitations pédagogiques sont également proposés afin de prolonger la réflexion. Bref, cet ouvrage est à l’image du travail et de l’implication des acteurs – bénévoles et bénéficiaires – de cette dynamique : une réussite collective et foisonnante. Pourtant, la conclusion a une saveur douce-amère. Douce parce que l’espoir, l’envie et l’énergie vibrent encore et toujours ; amère parce le Centre de Belgrade a dû fermer ses portes par décision du Gouvernement. Pour autant, ne baissons pas les bras et entonnons les paroles de Pierre Rapsat : « Ensemble, ensemble… »