Sens, essence et résonance

Iocasta HUPPEN, 130 haïkus à entendre, sentir et goûter, Bleu d’encre, 2018, 62 p., 10 €, ISBN :978-2-930725-24-6808113

Mi-décembre à Bruxelles, à La Fleur en Papier Doré, salle Magritte à l’étage, Iocasta Huppen préside le kukaï #17, une rencontre de haïjin, auteurs de haïkus. D’une diction parfaite et d’une voix fluide, haute de gamme comme celle d’un oiseau délicat, l’auteure de 130 haïkus lit les tercets anonymisés des participants. Chacun a voté pour ses trois préférés parmi ceux du jour, surgis de contraintes ouvertes: l’hiver, thème libre, la fée Mélusine. Le gagnant est Alain Henry avec trois votes pour « Dernier voyage / mes valises / pas prêtes ».

Un haïku peut être mille choses à la fois ; toutes légères. Il est un exercice spirituel inspiré de son mentor japonais, nourri de règles ancestrales. Il est une gymnastique poétique comme un pas de côté, dansé sur le bord du quotidien de nos vies toutes petites. Il est une tentative d’entrer en résonance avec le Monde, une observation attentive du présent de l’indicatif, une infinie extension du domaine de l’instant, une joie sensuelle qui touche au bonheur universel.

Jugez-en : « Rivière d’été / quel plaisir de la franchir / sandales en main ». Ce lointain haïku de Buson a trois siècles. Il tinte encore à nos oreilles, comme alors ; écho tout proche. Il sonnera pour toujours,expression simple d’une harmonieuse symbiose de soi avec tout, lorsque l’individu communie avec sa nature humaine.

C’est pour cela que le livre de Iocasta Huppen est sous-titré « à entendre, sentir et goûter ». Un haïku est une praline littéraire qui effleure la peau et l’esprit, enveloppe l’être pour l’inclure dans son environnement naturel immédiat. L’une des règles qui le fonde est justement la nécessaire mention de la saison en cours. L’hiver aujourd’hui et le printemps la prochaine fois, lors du kukaï #18, même lieu le 16 mars.

D’origine roumaine, Iocasta Huppen aime la langue française. Ses haïkus sont de petits bijoux ciselés de mots bruts, précis et précieux. Compendieusement, elle ouvre avec allant les cadeaux que la vie offre tous les jours, partout, à ceux qui l’écoutent, la sentent, la goûtent. « Matin de soleil / à travers la cheminée / le chant d’un oiseau ».

Roland Barthes expliquait dans L’empire des signes que « Ne décrivant ni ne définissant, le haïku s’amincit jusqu’à la pure et seule désignation. C’est cela, c’est ainsi, dit le haïku, c’est tel ».L’auteure l’a parfaitement compris, intégralement et explicitement : « Journée venteuse / un pot vide fait des demi-cercles /sur la terrasse ». La force d’un haïku est son immanente accessibilité, sa réalité d’emblée partagée et sa contagion.

La lecture du deuxième parmi les 130 m’invitait déjà à le détourner pour mettre en abîme sa présence et la mienne lisant : Frôlée, caressée / la page loge le sens / en son filigrane. Exercez-vous. Si vous ne connaissez pas déjà, vous verrez : vous entendrez, vous sentirez, vous goûterez un supplément de vie. Et au-delà d’exister, vous serez. Vous serez conscient. Vous serez un point de fusion entre culture et nature. Vous serez un être. Vous saurez être. Être libre.