Marc Hanrez le Célinissime

Marc HANREZ, Céline et ses classiques et autres essais, préface de Marc Laudelout, Illustrations de Philippe Lorin, Éditions de Paris – Max Chaleil, 2019, 190 p., 20 €, ISBN : 978-2846212762

Faut-il s’étonner que, dans la liste des essayistes pionniers à avoir traité de Louis-Ferdinand Céline, deux soient d’origine belge ? Sans doute appartenait-il mieux à des périphériques qu’à des Hexagonaux de s’emparer d’une figure aussi complexe et épineuse, au lendemain de sa disparition en juillet 1961, qui avait vu les passions se ranimer à son égard… En 1963, Pol Vandromme faisait ainsi paraître un mince volume, tout en verve hussarde, sur l’Abominable Homme des Lettres. Le plus parisien des carolorégiens avait été précédé sur cette voie par un jeune universitaire de l’ULB, de qui Roger Nimier avait accepté une étude à paraître dans la naissante collection « La Bibliothèque idéale » chez Gallimard. L’ouvrage à la couverture rose fuchsia et à la maquette reconnaissable entre mille, paru en novembre 1961 – soit six mois après la mort de Céline – est devenu depuis une référence incontournable dans l’océanique bibliographie célinienne. Et s’il ne fut certes pas la toute première monographie consacrée à Céline (signée par Nicole Debrie-Panel et publiée chez un éditeur plus confidentiel que Gallimard), le portatif de Hanrez a au moins ce mérite d’avoir été le premier ouvrage « grand public » sur le sujet.

Hanrez n’avait pas fait qu’analyser (le vilain verbe quand il s’agit de style…) l’œuvre de l’auteur de Mort à crédit. Il avait également tenté le pari d’évoquer l’homme, en proposant notamment un aperçu biographique, un synopsis de chacun de ses titres ainsi qu’une sélection thématisée d’extraits. L’ensemble se voyait couronné par la retranscription d’une interview, enregistrée sur magnétophone lors de l’une des cinq visites au total que fit Hanrez à Meudon. De ce fait, notre compatriote demeure l’un des derniers témoins, sinon l’ultime, à avoir éprouvé physiquement la présence de Céline au monde, à l’avoir vu se mouvoir dans son cadre familier, à l’avoir écouté in situ.

De nombreuses autres rencontres, déterminantes, ont été évoquées par Hanrez dans ses journaux intimes, néanmoins c’est le « choc Céline » qui infléchira toute sa vie de lecteur et d’enseignant à l’Université du Wisconsin. Voilà pourquoi il était important de compléter son apport monographique initial par ses autres contributions sur le sujet. L’on doit à l’éditeur parisien Max Chaleil l’heureuse initiative d’avoir accueilli à son enseigne ces articles parus, depuis le milieu des années 1960, dans Le français dans le Monde, Tel Quel, L’infini, Le magazine littéraire, etc.

À leur (re)découverte, il s’avère que le pionnier Hanrez se double d’un précurseur. Dans la multiplicité d’approches caractérisant le champ si disparate des études céliniennes, l’universitaire a adopté celle qui consiste à refuser la dichotomie pamphlétaire / romancier, partant à considérer l’œuvre d’un seul tenant. Audacieuse et féconde selon les uns, invalide et irrecevable selon les autres, cette position académiquement moins correcte aura pour le coup permis à Hanrez de lire Céline en toute décomplexion. D’aborder Bagatelles pour un massacre selon d’autres angles que strictement idéologiques. D’oser établir des compagnonnages, fondés même si a priori improbables, entre Céline et Jules Vallès, Breughel, Léon Bloy, Paul Morand, Denis Diderot, voire George Sand. Enfin de s’aventurer sur des chemins infréquentés, comme à l’occasion de ce contrepoint entre le personnage de la jeune Virginie et la Reine Victoria, qui rafraîchit la lecture de Guignol’s Band !

Marc Hanrez ? Un buissonnier invétéré du « célinisme », avec qui, par une belle journée de printemps, il fait bon prendre à nouveau la Route des Gardes et de pousser la grille du Docteur Destouches…

Frédéric Saenen