Brasiers : prix Fintro Écritures noires

Marie-Pierre JADIN, Brasiers, Ker, 2020, 153 p., 18 €, ISBN : 9782875862686

Lauréate du prix Fintro Écritures noires remis dans le cadre de la Foire du livre de Bruxelles pour son premier roman, Brasiers, Marie-Pierre Jadin propose un récit à hauteur d’hommes et de femmes aux frontières de leurs histoires personnelles et de la grande Histoire, celle de la Seconde Guerre mondiale et de la Guerre froide.

Le fin fond de l’Ardenne belge, en l’occurrence le village reculé de Sainte-Ode et la cité de Bastogne qui porte encore les stigmates du passage des troupes allemandes et alliées, offre un décor digne d’une série comme La Trêve. D’emblée, Marie-Pierre Jadin crée le suspense en dix lignes : « Il veilla à ne pas faire grincer le portail rouillé qui menait à la ferme. L’homme l’avait mis en garde le matin même : « Ne remettez pas les pieds ici ou vous le regretterez ! » Ni le ton agressif ni les menaces de l’homme ne l’avaient intimidé. Il n’avait pas parcouru tout ce chemin pour être découragé par un type mal embouché. Il était vingt-trois heures trente, aucun bruit, aucune lumière ne filtrait du corps de logis. Il contourna le bâtiment. La cache était là, à trois mètres du sol, derrière cette porte en bois, comme dans les descriptions de son père ». Une cache autour de laquelle va se cristalliser toute l’intrigue, au point qu’elle aurait pu être le titre du roman. Nous sommes le 26 juillet 1987. À partir de là, l’auteure se lance dans une partie de saute-mouton spatio-temporel, entre les années 1940, 1987 et 2009, ainsi qu’au-dessus de la frontière belgo-allemande, jusqu’à Berlin.

Point de départ : une jeune femme, Cécile, s’installe avec Antonio, son compagnon allemand ainsi que leur jeune fils, dans une vieille ferme de cette région forestière. Lors des rénovations, ils mettent à jour une pièce condamnée qui renferme un cadavre dont la mort remonte à plus de vingt ans. La mort ou plutôt l’assassinat.

Une cache et un cadavre, comme dans tout bon polar. Sans oublier un enquêteur bien typé, dans ce cas-ci un jeune inspecteur bruxellois frais émoulu, célibataire, aussi à l’aise dans cette région reculée qu’une allumette face à un briquet. Un enquêteur qui a déjà adopté une méthodologie bien à lui : « Laisser parler, voir venir. C’était une technique qui fonctionnait aussi avec certaines personnes. »

Sur ces entrefaites, Antonio retourne à Berlin auprès de sa mère malade, mais son séjour se prolonge et il s’abstient de s’en expliquer. Interrogée, Cécile laisse s’échapper une remarque qui n’échappe pas, elle, au jeune policier : « Et puis, vous savez, c’est d’ici qu’Antonio est parti, c’est ici qu’il reviendra, s’il revient… » Une intrigue se niche bien souvent dans des détails et Marie-Pierre Jadin les sème au fur et à mesure de son récit pour entretenir suspense et mystères. D’autant qu’un enquêteur a rarement le luxe de se consacrer à une seule affaire. D’autres vont requérir les efforts de la police locale, confrontées à des situations d’ampleur variable : un vol, une fugue, des incendies (qui donnent pour partie son titre au roman, à moins que ces « brasiers » ne soient ceux qui parfois dévorent l’âme humaine en ses circonvolutions !). Sans compter que le jeune policier est lui aussi hanté par un drame qui s’est noué au milieu des flammes…

Peu à peu se met en place une double enquête : celle de la police mais aussi celle de Cécile sur le passé de son mari et son mystérieux départ à Berlin. Les zones d’ombre qui entourent un compagnon peuvent parfois se révéler aussi sombres que celles qui rendent obscur le meurtre d’un homme. « Que sait-on des gens avec qui l’on vit ? », constate laconiquement Cécile. Cette interrogation apporte son épaisseur humaine et son mystère à Brasiers, ainsi que s’en explique Cécile en voix off : « Après tout, quelle maison ancienne n’a pas abrité un drame ? Celui-ci est-il vraiment plus terrible qu’un autre, sinon qu’il se répète, et qu’il semble vouloir se mêler de la grande Histoire ? Mais mon histoire à moi, ma petite histoire avec Antonio, j’ai peur de devoir faire une croix dessus (…) »

Au-delà des faits et des circonstances, des destinées individuelles et des obligations du quotidien, des devoirs professionnels et des ambitions multiples, le flic des débuts prend conscience que cette enquête se révèle porteuse de bien davantage : « Et puis, il pensait sincèrement que beaucoup de promesses avaient été faites dans cette histoire. Des promesses tenues, qui avaient fait des victimes mais aussi sauvé des vies, et tissé des liens entre des personnes, par-delà l’espace et le temps. Que c’était des promesses de ce genre qui permettaient, peut-être, la réconciliation entre les peuples, et la paix durable qu’une bonne partie de l’Europe connaissait depuis plus de soixante ans. »

Cette dimension historique et la profondeur psychologique des personnages ont dû contribuer à l’attribution du prix Fintro Écritures noires à Brasiers. Un prix que Fintro et la Foire du Livre de Bruxelles décernent afin de faire connaître des voix nouvelles d’auteur.e.s de polar belges francophones.

Michel Torrekens