La foi, la poésie

Colette NYS-MAZURE, Lettre d’Atonie, Encre originale de Robert Lobet, Jacques Brémond, coll. « Les petites lettres », 2020, ISBN : 978-2-915519-95-2

Colette NYS-MAZURE,Anne LE MAISTRE, Chaque aurore te restera première, Atelier des noyers, 2020, ISBN : 978-2-490185-43-6

nys mazure chaque aurore te restera premiereUn livre d’artiste est toujours une rencontre. Ce pourquoi il n’est pas seulement un objet manufacturé unique, mais aussi un rapport sensible entre au moins, à l’origine, deux mondes, si pas trois : ceux de l’auteur, de l’artiste plasticien, de l’éditeur… Donner une définition de ce qu’est un livre d’artiste n’est pas chose facile : Pierre-André Benoit – un poète, peintre, illustrateur, graveur, typographe, imprimeur, éditeur d’art (1921-1993) – soutenait que le livre d’artiste peut revêtir de multiples formes et qu’il s’agit « d’un livre, voire dans certains cas un livre-objet, édité/créé à peu d’exemplaires, voire à tirage unique, très souvent réalisé de manière artisanale et généralement diffusé hors des circuits classiques de distribution, même souvent par l’auteur lui-même (…) Il est le résultat de la rencontre entre la pensée originale d’un artiste et son imagination au niveau des formes, de la présentation, des possibilités d’impression ou de reproduction, du papier, des matières… Ce livre présente en effet des savoir-faire et des productions extrêmement différentes

nys mazure lettre d atonieJacques Brémond, qui réalise l’édition de Lettre d’Atonie est connu de très longue date pour la qualité et l’originalité de la mise en forme éditoriale des textes de son catalogue. La collection des Petites lettres accueille ici des œuvres adressées à un destinataire, réel, imaginaire ou symbolique. La poète s’adresse à une personne proche à l’occasion d’une hospitalisation et d’une intervention médicale. Elle y mentionne toute l’expérience comme elle le ferait dans un journal de bord d’une exploration des confins de son corps, de sa réaction face à la maladie puis aux soins, de l’état de faiblesse puis de stupeur, de décalage existant à la suite de ce passage d’un état à un autre, celui, de la dépendance, de la peur, de l’appréhension et de la joie d’éprouver enfin une vie retrouvée. L’écriture est enlevée, simple, narrative, précise dans la description qu’elle fait du monde physique et de l’univers intérieur, psychique et affectif de l’autrice de ces lettres jetées comme des bouteilles à la mer depuis une île inaccessible : le corps souffrant et l’hôpital qui le prend en charge techniquement. Comme toujours chez Nys-Mazure, la traversée du désert, de la solitude et de la souffrance est un passage au noir nécessaire pour aller vers la lumière, la paix et la vie. Dans cet ensemble, elle tend « à travers mots une main » pour « traverser la nuit sans mourir ».

Chaque aurore te restera première est un ensemble qui dit aussi cette tension vers soi et l’autre, à travers deux langages plastiques qui se répondent : les courts poèmes en forme d’adresse, de leçon, de conseil ou de constat quant à la vie et à son cortège d’épreuves et de révélations dialoguent avec les fines aquarelles d’Anne Le Maître dans ce troisième volume de la collection Carnets de Philo, du jeune Atelier des noyers de Claire Delbard. Recherche de profondeur et de chaleur humaine, attente de l’espérance, reconnaissance de la vie dans ce qu’elle nous offre de toujours neuf, l’œuvre de Colette Nys-Mazure est motivée par cette foi que la poète place dans notre capacité d’accueil et de courage : « Je ne maudirai pas les ténèbres. / Je tiendrai haut la lampe », écrivait-elle déjà dans son premier recueil La vie à foison (1975).

Éric Brogniet