Grégoire POLET, Soucoupes volantes, Gallimard, 2021, 240 p., 19.50 € / ePub : 13.99 €, ISBN : 9782072878343
Après sept romans et divers opuscules, Grégoire Polet s’exerce à l’art de la nouvelle. L’on sait qu’il ne suffit pas d’avoir fait sa place comme romancier pour être reconnu comme nouvelliste. Ni l’inverse d’ailleurs. Le récit bref est un art en soi qui tient surtout de l’ascèse et les lecteurs francophones ne sont guère portés à ouvrir ces recueils qui séduisent depuis longtemps les anglophones. La nouvelle reste d’ailleurs une aventure éditoriale à risque. Soucoupes volantes, recueil dont la sortie était programmée il y a un an, vient juste de paraître : signe des temps incertains, de la fragilité éditoriale du genre, ou un peu des deux ? Qui nous dira combien de livres se sont perdus au cours des quinze derniers mois ?
Dès le premier texte, qui ne tarde guère à imposer son empreinte, on comprend que l’auteur a fait le choix de nous plonger dans l’étrange, sentiment qui n’est pas démenti à mesure que l’on passe d’un titre à l’autre. Non qu’il invite l’extraordinaire avec force effets spéciaux. Les personnages qui habitent ce recueil nous livrent des séquences de vie qui touchent à leurs vécus les plus intimes, sur un ton proche de la confidence. Car ils sont le plus souvent témoins de choses qui sortent de l’ordinaire, et dont ils sont les premiers à douter. Comme ce disque qui « convoque des fantômes et parfois les fait apparaître » (Ysaÿe). Ou ce scénariste qui occupe un appartement d’où il aperçoit une femme qui scrute sa fenêtre à la recherche de son mari qui s’y est donné la mort (Au 111). Dans « Soucoupes volantes », qui donne son titre au recueil, un homme est intrigué par son voisin perché sur son toit qui adresse des signes tourné vers le ciel sans qu’il en comprenne la raison, jusqu’à ce qu’il se prenne à l’imiter. Ailleurs (« Histoire de l’ours Pozor »), un homme a recueilli et élevé un ursidé et ne peut se résoudre à s’en séparer alors qu’il se révèle dangereux. Quelques histoires d’amour singulières éclosent çà et là : un homme fortuné et âgé, qui fréquente assidument un bistrot de quartier, fait savoir qu’il veut s’assurer une descendance et recherche une épouse (« Natacha Lazartchouk »), un autre balade sa compagne en cabriolet pour un ballet d’achats compulsifs avant que l’inattendu se produise. Ici toujours, des décalages relationnels qui prennent des tournures dans lesquelles le doute joue en maître du jeu (« En décapotable »). Parmi les personnages croisés, ou les figures évoquées, vous ne pourrez manquer, outre Ysaÿe, Napoléon, Dali, Prokofiev et surtout bien d’autres plus anonymes qui se livrent dans une humanité désarmante qui nous les rend si proches.
Au terme des dix-sept récits, qui constituent autant d’histoires distinctes aux univers tout à la fois particuliers et frères par leur ambiance, l’on doit reconnaître que Grégoire Polet nous emballe avec aisance une fois de plus. Un rien pince-sans-rire, jongleur souvent cocasse, il nous balade à son habitude de pays en pays : à Bruxelles bien sûr, mais aussi en Slovaquie, en Serbie, à Oslo, à Paris et en bien d’autres lieux. En cela, il reste fidèle au cahier des charges spatial qui a présidé jusqu’ici au déroulé de son œuvre romanesque, ce qui fait sans doute de lui le plus européen de nos auteurs. Faut-il encore préciser que le défi de ce premier recueil de nouvelles est relevé haut la main?
Thierry Detienne