Lorenzo CECCHI, Dans l’enclos, M.E.O., 2023, 144 p., 16 € / ePub : 9,99 €, ISBN: 978-2-8070-0368-2
À fréquenter nos semblables, nous avons tous vécu des situations où la personne en face de nous paraît soudain imperméable à nos propos, retenue dans un monde auquel nous n‘avons pas accès et sur lequel elle n’a souvent elle-même plus prise. L’attention progressive que notre société porte à la santé mentale nous permet d’approcher ce mystère et la littérature contribue à ce lent mouvement. L’on songe bien sûr aux livres fabuleux écrits de cet ailleurs, à l’usage de l’écriture dans la thérapie, aux auteurs qui ont tenté de décrire cet univers dans le roman et surtout dans les polars qui fleurissent chaque jour.
Avec Dans l’enclos, Lorenzo Cecchi livre 34 portraits, toujours précédés de prénoms, comme pour nous rappeler qu’une personne humaine ne peut se réduire à un problème ou une pathologie, par ailleurs jamais citée. Ici, pas de cas d’école, mais des instantanés, riches de la vie usuelle : un homme qui se mutile sous l’effet de l’alcool, un ami retrouvé que l’on n’a pas vu depuis des décennies et que la vie a détruit, des fabulateurs de tous poils aux aventures impossibles, une femme attendue dans une réunion importante et qui disparait sans laisser de nouvelles, un vieillard qui perd le sens des mots ou qui ne reconnaît plus son enfant, des paroles entendues qui provoquent un basculement irréversible, une femme qui reconnait soudainement son violeur, un homme fasciné par une femme au comptoir d’un bar et qui attend qu’elle s’intéresse à lui, un homme parti faire les courses qui hésite, revient sur ses pas et repart.
Tout ce petit monde défile dans les habits du quotidien, sans revendiquer l’exception. Sous la plume de Lorenzo Cecchi, qui est autant conteur qu’analyste, ces 34 portraits se succèdent en séquences autonomes, campés en quelques lignes d’une efficacité peu commune.
Étienne n’a plus goût à rien. Il reste enfermé chez lui, seul. Le commerce des autres l’indispose. Les gesticulations de ses semblables, leurs préoccupations, leurs déclarations ne l’intéressent plus. La pandémie de Covid ne le dérange aucunement.
Les mots sont choisis, l’auteur a le sens de la formule qui fait mouche, tout à la fois élégante et sobre, il recourt à des anecdotes plus vraies que vraies, celles qui font et défont les vies ordinaires. Forte d’une dizaine d’ouvrages, son œuvre nous confirme que nous tenons un écrivain attentif à notre société et aux êtres qui la peuplent et qui nous en parle avec justesse et talent.
Thierry Detienne