La mort elle-même / peine à trouver ses mots…

Aurélien DONY, Grammaire du vide, photographies de Victorine Alisse, Arbre à paroles, 2023, 80 p., 13 €, ISBN : 978-2-87406-737-2

dony grammaire du videOrné de photographies de Victorine Alisse, le recueil Grammaire du vide est l’édition définitive de trois séries de poèmes (« Terre Silence » – « À pierre fendre » – « Solstices ») « écrits entre 2018 et 2022, puis retravaillés durant une résidence d’écriture à la Maison de la Poésie », peut-on lire dans les notes techniques de l’ouvrage. Des exergues de Yannick Haenel, d’Anise Koltz et Henri Michaux évoquent chacun à leur manière la nécessité, la présence et la rupture du silence.

Ce préambule a guidé la lecture que cette recension propose d’une série de textes dont les deux signes paradoxaux pourraient être l’aboutissement et la recherche. Omniprésente, explicitement ou en filigrane,  une interrogation s’inscrit à chaque page sur la poésie et se confronte à l’énigme de l’écriture poétique. Aurélien Dony, dès les premiers vers du recueil, fait face au vertige : Qu’avons-nous fait / que la mort elle-même / peine à trouver ses mots.

Le poète dinantais poursuit cette quête qui est à la fois d’une grammaire, d’une langue (lorsque à ne plus savoir où donner du verbe / même en wallon, le cœur s’épuise), mais aussi d’une voix (la voix s’éraille / aux arêtes du mot) pour réussir enfin à écrire un vers / comme on pousserait un cri. Peut-être alors s’agira-t-il de retrouver le goût / du silence ?

C’est d’un voyage initiatique qu’il s’agit aussi, car Après les vignes / au bout des routes /(…) tout était là… et aussi dans l’enfance où Il neige / le poème / un flocon sur la langue.

Le dernier vers du premier volet, « Terre silence », à peine, nous dit à la fois l’effort et l’effleurement, ce à quoi tient un poème… qui dit « le fardeau d’être soi ».

« À pierre fendre », le deuxième volet du recueil, s’ouvre à nouveau sur trois exergues (Pierre-Albert Jourdan, Jacques Crickillon et Véronique Wautier). Écrites en 2018 à la mort de Jacques Palange, « artisan écriteur », ces pages poursuivent l’investigation de poésie, lui donnent un sens mémoriel : alors creuser / dans le poème / un trou où celleux que tu aimes / dorment. Le poème comme éloge funèbre et inconsolable chagrin : quelle ruine / dedans / obstrue le pas. Que reste-t-il alors ? Gratter les tombes / jusqu’à la source, propose le poète dans une fulgurante expression du deuil, et cette incantation : tu dis plus jamais un vers à la mort, plus un vers à l’ennui.

Les « Solstices », troisième mouvement du recueil, s’ouvrent sur les exergues d’Aragon, Françoise Lison-Leroy et John Cage. Chaque poème, en vers libres, trouve un écho dans de courts commentaires en prose et en italiques. Par ce prolongement, comme un  miroir typographique en italiques, le poète semble vouloir explorer plus loin, plus profond, le cheminement premier du poème, retourner la terre où tu planquais tes peines. Et de nous interroger sur la fin ultime de l’écriture poétique.

Jean Jauniaux

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