« Animale humanité »

Un coup de cœur du Carnet

Ludovic FLAMANT (texte) & Hideki OKI (image), Le sourire du singe, Esperluète, coll. « Hors-formats », 2023, 24 p., 22 €, ISBN : 9782359841787

flamant oki le sourire du singeHideki Oki s’exprime en lignes : au feutre, colorées, verticales et horizontales. Ses dessins, essentiellement des portraits, transpirent ses mouvements. Ses œuvres inversent les positions : elles nous regardent, fixement, sans ciller, à travers les yeux des animaux représentés. Ils nous sondent, nous questionnent, nous tiennent en respect. Dans Le sourire du singe, ce sont des chimpanzés, des mandrills, des nasiques, des macaques, des capucins, des bonobos, des gibbons, des gorilles, des orangs-outangs et autres primates qui occupent de pleines pages.

L’auteur Ludovic Flamant, lui aussi, a été happé par cet univers graphique singulier, où chaque singe dialogue avec celui qui l’observe, dans un silence opaque dont la texture change selon la personnalité de l’animal. Muni de sa plume, juste et réceptive, il s’est imprégné du contexte où il avait décidé de travailler : un atelier du Creahm (structure associative aux multiples ramifications œuvrant depuis près de trente-cinq ans au développement des arts plastiques et vivants par des personnes handicapées mentales). Semaine après semaine, assis sur un tabouret près d’Oki, au milieu d’autres artistes en création, il a interrogé la notion de « différence », expérimenté l’altérité. Le terreau de son texte en devenir.

« Un jour, sans que je sache pourquoi, on me mit dans la cage aux singes. » Ainsi s’initie le récit du narrateur qui, seul, paraît avoir conscience de son statut d’homo sapiens. Du moins, au départ. Car, face à cette configuration inédite, il va adopter plusieurs attitudes : la révolte, le rejet, la vigilance, l’observation, le fléchissement, l’imprégnation, la distance, la reddition, l’adaptation, l’assimilation. Du mépris affiché devant ces bêtes qui « malgré leur pouce préhenseur, […] ne bâtir[ont] jamais rien d’importance : ni digue, ni forteresse, ni tribunal, ni cage », l’amateur de savantes formules latines s’intéresse peu à peu à ses frères encagés, dont il découvre les subtilités que les croyances et les jugements à l’emporte-pièce l’empêchaient de percevoir : comme lui, ils rient, pleurent, calculent, se concentrent, communiquent, peignent, jouent, s’émeuvent, prennent soin des autres, pensent. Et surtout, mieux que lui, ils savent que « le silence [est] une pensée » et que « le plafond devient l’infini si on le fixe assez longtemps ». Au bout du compte, quel est alors le propre de l’homme ? Qu’est-ce qui légitime les clivages ? Existe-t-il vraiment des « eux » et des « nous » ? Par cette fable nourrie d’une animale humanité, Flamant illustre en mots les œuvres éclatantes d’Oki, propose une réflexion nécessaire, amusante et décalée sur la vulnérabilité, le lien et l’ouverture. Et les poils se dressent.

Samia Hammami

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