Ruines et cuissardes

Un coup de cœur du Carnet

Véronique BERGEN, Les danses de Roberto Succo, Maelström, coll. « Bookleg », 2023, 3 €, ISBN : 978-2-87505-480-7

bergen les danses de roberto succoD’une densité dessillante, l’opus Les danses de Roberto Succo de Véronique Bergen est construit à l’image de la rêverie de sa narratrice. Celle-ci arpente les rues de Bruxelles, de même que nous, lecteurs, arpentons les phrases de Véronique Bergen serties dans l’émail de la langue.

D’emblée, le récit emprunte une voix et des ruelles : la voix d’amorce, servie en italiques, annonce une forme de solitude, tandis que les rues amoncellent quantités de pas. Ainsi de tout l’opus, oscillant entre voix intérieure et échos extérieurs, l’un et l’autre s’interpénétrant, se transfigurant mutuellement jusqu’à se confondre et se brouiller au sein de ce « pèlerinage anarchiste ».

La narratrice, dans la nuit bruxelloise, rencontre le sosie de Roberto Succo, le « tueur de la pleine lune ». À partir de là, s’instaure un dialogue avec le lecteur, à propos de la réminiscence, du trouble et du flou d’où émane la sensation. Loin d’être chronologique, la pensée danse, saute, recule, bondit, traverse les strates des signes visibles et invisibles. La pensée est profondément inconsciente avant d’être éveillée, elle est rêve avant d’être veille. Elle est chienne et louve.

Ma quête est-elle le fruit d’une télépathie orchestrée par un astre nommé désir ? 

Du ventre de la ville de Bruxelles, Véronique Bergen en extrait vestiges et souvenirs, du temps où la ville n’était pas encore défigurée par la gentrification croissante et le capitalisme, qui font peu cas de traces mémorielles et des ruines de la ville. Le récit est une véritable archéologie, téléscope les siècles et convoque des figures telles que, par exemple, Cléopâtre. Il est émaillé d’allusions à des textes et des auteurs, qui n’échapperont guère au regard du lecteur aguerri.

Les vestiges des enceintes qui protégeaient la ville médiévale attirent-ils des êtres trans-temporels, gardiens provisoires de lieux qui ont résisté à un raz-de-marée de guerres, d’invasions, de destructions patrimoniales ? 

Véritable chant sauvage, cinglant et intense, l’opus Les danses de Roberto Succo n’épargne ni la bienséance ni la bienveillance faisant aujourd’hui fureur. Il délivre la langue de ses sangles, la noue à la sensation, à l’affect. Cette langue devient elle-même cuissarde, battant les pavés – et le bruit se répercute déjà dans les siècles à venir.  

Charline Lambert

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