Peau d’homme

Aurore DRÉCOURT, La folle destinée des Kerdelec Tome 1 : Un secret bien gardé, Calmann-Lévy, 2024, 540 p., 16,90 € / ePub : 7,99 €, ISBN : 978-2-7021-8854-5

drécourt la folle destinee des kerdelecSophie de Kerdelec est une jeune femme de 19 ans qui vit paisiblement dans la campagne bretonne avec sa famille à une époque que l’on pourrait situer au 20e siècle. Malgré la ressemblance physique frappante avec son frère jumeau Étienne, elle s’oppose diamétralement à sa retenue et sa prudence avec son caractère impétueux et fier. Leur duo fonctionne à merveille dans la mesure où elle se travestit régulièrement sous les traits de son frère pour gérer à sa place le domaine et les terres.

Qui se déguisait en garçon pour suivre les cours des précepteurs ? Qui parcourait la campagne en l’absence de leur famille pour gérer les terres et aider les paysans ? Qui maintenait les comptes à jour et réglait les problèmes de servitude à la place du jeune homme ? Et sans jamais s’en attribuer les mérites afin que leur père n’y voie que du feu ? Non qu’Étienne fût incompétent dans ces matières, mais il s’en désintéressait totalement, préférant passer sa vie à lire et à écrire.

La famille de Kerdelec est d’origine noble et possède un château, mais sa situation financière est particulièrement délicate. Un jour, le père annonce le décès d’un lointain membre de la famille et s’il arrive à prouver leur lien de sang par un acte authentique, il héritera d’une somme rondelette qui sauvera la famille de la ruine. Cependant, un rival revendique également cet héritage, il s’agit du comte de Carnac, un libertin au caractère bien trempé.

Lors d’un bal à Rennes où Sophie et Étienne font leur entrée dans le monde, l’acte de baptême qui aurait pu sauver la famille est dérobé. Dans la foulée, le frère jumeau de Sophie disparaît dans la nature et le père a une crise cardiaque. Sans un homme pour veiller sur les quatre frère et sœurs, la famille court à la catastrophe. Afin de remplacer le père manquant et de retrouver le précieux document volé, Sophie ne voit d’autre solution que de se travestir en son frère. Elle découvre rapidement que s’offrent à elle deux voies de salut : soit elle retrouve le document volé et sauve sa famille grâce à l’héritage, soit son frère s’engage dans un mariage arrangé avantageux qui effacerait les dettes paternelles en échange du titre de noblesse pour la fiancée. Étienne étant absent, Sophie s’efforce de gagner du temps afin de trouver la solution qui assurerait un avenir à toute sa famille…

Dans La folle destinée des Kerdelec, Aurore Drécourt nous offre un récit historique écrit dans un style fluide et empli de suspense avec une romance platonique en toile de fond. À travers les scènes de la vie quotidienne de l’époque, nous suivons la protagoniste qui jongle constamment avec ses deux identités pour accomplir ce qui est attendu de son frère et elle (fréquenter la bonne société, aller à des bals, courtiser sa fiancée…), tout en effectuant son enquête en cachette.

Nous sommes ainsi amenés à palper le poids de ses responsabilités (« Faites en sorte que votre déshonneur ne rejaillisse jamais sur cette famille. Vous voulez sauver votre père, vos sœurs et votre petit frère ? Alors, prouvez-le, et soyez prête à vous sacrifier »). Sa peur constante d’être démasquée dans les milieux d’hommes nous rappelle la dangerosité pour une femme de les fréquenter avec une telle proximité, mais la condition des hommes à marier est tout aussi peu enviable puisqu’elle est régie par le code étriqué des apparences et des arrangements calculateurs…

Danser jusqu’à en avoir mal aux pieds, supporter la pression des mères qui lui présentaient pour la énième fois chacune de leurs filles et se sentir obligé de les inviter pour ne pas les offusquer… Étienne n’en pouvait plus. Son sourire devenait crispé, de même que ses membres à force de tenter de toutes les satisfaire. Hélas, dès qu’il quittait la piste de danse, il devenait la cible de tous les regards féminins. Ou bien n’était-ce qu’une idée ? Il avait déjà expérimenté ce sentiment aux autres bals auxquels il avait dû assister, mais aujourd’hui, plus que jamais, il avait l’impression d’être un morceau de viande qu’on se disputait.

Séverine Radoux

Plus d’information