L’inattendu et toujours vierge surgissement

Béatrice LIBERT, Visages de la grâce, Les Lieux-Dits éditions, coll. « Jour & Nuit », 2024, 15 €, ISBN : 978-2-493715-50-0

libert visages de la graceRécemment primée par la Fédération Wallonie-Bruxelles avec le Prix de poésie 2023 de son Parlement pour Comme un livre ouvert à la croisée des doutes, Béatrice Libert est une autrice prolixe qui s’épanouit à la fois dans une écriture plurielle entre poèmes et proses, ou pour petits et grands, mais aussi dans son travail de formatrice en ateliers d’écriture et une œuvre picturale personnelle. Elle possède un don certain pour la variété des formes stylistiques qu’elle manie sur un large spectre et qu’elle n’hésite pas, comme ici encore, à métisser entre elles. Souvenirs autobiographiques, ludisme, expérimentations métaphoriques, onirisme, aphorismes, lyrisme retenu, formes brèves ou formes longues, humour ou ici poésie gnomique, elle s’aventure avec bonheur hors des carcans et des sentiers battus, nous faisant ainsi partager son plaisir et son enthousiasme pour la langue française, qu’elle enseigna longtemps.

Visages de la grâce se lit comme un long questionnement du poème dont la nature nous échapperait naturellement puisque chaque poème, chaque lettre de chaque vers de chaque poème ne sont qu’un fragment des visages d’une grâce dont ils traduisent l’infinie métamorphose, la parole labile, l’inattendu et toujours vierge surgissement. Le poème se présente ainsi à chaque page de ce recueil au ton à la fois lancinant et sans cesse relancé comme le véhicule d’un questionnement sur lui-même mais aussi sur l’Être. L’ensemble est donc caractérisé par un récitatif dont l’anaphore est la figure principale à travers le mot : poème. Comment dire ce qui est à la fois la forme et l’outre-forme, le formulé et l’informulable, soi et l’autre, la présence et l’absence ? Le poème est le visage toujours mobile qu’aucune formule ne résume, qu’aucun préconçu ne détermine. Il est et n’est pas. La polysémie de son verbe en est la meilleure preuve.  Aucune définition ne l’enfermera jamais :

Le poème
Engage un fleuve
De la source à la mer
Il sème sur sa course
Le sel des étoiles

La plasticité de toute lecture qu’il provoque empêche d’en réduire la portée à un discours univoque et conteste l’éventuel pouvoir de l’auteur sur son œuvre. Il favorise ainsi la rencontre entre soi et l’autre :

Ce poème
N’est pas
Ton poème     
Mais celui
De qui le lira
De qui s’en vêtira

Pourtant, à l’origine, il est aussi le medium d’une approche de soi qui permet la rencontre de soi et de soi-même ou de l’autre en soi :

Le poème
Est une seconde peau
Une paroi poreuse
Un vitrail posé
Entre moi et moi

Par la variété même des tons de chaque poème de l’ensemble, Béatrice Libert offre à son propos un chatoiement stylistique qui évite la pesanteur trop prévisible d’un ton philosophique ou l’ennui d’une répétition lassante du propos : son inventivité verbale, qui allie les termes prosaïques à ceux d’un registre plus intellectuel, son sens des jeux de langue et d’un humour diversifié ont ainsi la caractéristique, à l’instar de la vie, du vitrail et de ses réverbérations colorées :

Le poème
Parle toutes les langues
Comme un arbre
Dont chaque feuille
Est la clef
D’un alphabet

Le poème est un antidote à la douleur ou au manque. Le poème ne discourt pas. Le poème ne prouve pas. Le poème ne figure pas : il transfigure.

Éric Brogniet

Plus d’information