Le terreau arable des mots

Jean-Marie CORBUSIER, À ras, Taillis Pré, 2023, 137 p., 17€, ISBN : 978-2-8745-216-3

« …il faut beaucoup parler pour cacher
un mutisme authentique… »
Georges PERROS

corbusier a rasAvec ce nouveau recueil, À ras, publié comme les précédents au Taillis Pré, Jean-Marie Corbusier poursuit encore plus loin son duel avec les mots du poème. Un combat toujours renouvelé pour le poète discret et « en retrait » (nullement « retranché » pour autant) qu’il est, passionné par les paysages qui ont le silence en partage, les Ardennes, la Bretagne. Un combat sans cesse renouvelé au moment de couvrir la page blanche et dont l’âpreté naît justement de cette économie des mots scandés, répétés.

La concision du titre de ce nouvel opus donne à lui seul le ton de cette foire d’empoigne ! Deux mots, quatre lettres qui évoquent cette table rase nécessaire, ce « coin désert » à reconquérir à chaque nouvelle aube. Une « terre froide, d’herbes sèches », un territoire vierge, comme un corps dénudé laissé en friche au bord du lit.

Toi
dans l’éclat
la flamme courte  
dressée
toi  
au sol
la face enrobée
de silence
toi  
dès l’aube
par la bouche
par le sang
toi
en plein jour
lentement  
dénudée

Des « terres usées » ou plutôt érodées comme le sont celles des confins que l’on piétine lentement au large des finis terrae bretonnes, du côté des îles d’Ouessant ou de Sein. Une terre rase battue par la « houle des mots » qui fait tanguer les « naufragés du vivre ». Comme un perroquet docile, À ras n’en finit pas d’araser les champs sémantiques et phonétiques du poème. Relief arasé mais néanmoins arable sur lequel le poète fait pousser les « vieilles histoires » d’une « terre qui déroute ». Route aride, silencieuse d’où sourd, à chaque pas déposé sur la neige, un murmure de fenaison parfois harassant et qu’il convient d’arracher au silence.

            Le matin blanc
            ce cri
            comme hier notre attente
            l’ombre creuse
            l’oubli du nom
 

            la page blanche
            comme une entrave
            au milieu du chemin

Le parallèle entre la nudité des corps et des reliefs est ici renforcé par l’absence totale de ponctuation. Il faut déployer une grande force pour semer, pour faire vivre ces territoires de l’absence, pour les irriguer même si l’on sait qu’il est vain d’en attendre beaucoup plus que les quelques oyats d’une « terre en avant de nous ».

Aride l’effort
à ras de terre
au plus dur
à cerner l’indicible
la route aveugle
à effacer le temps
à tenir
contre la chute
très haut entre des murs
qui boitent

Mais cet effort pour faire surgir la parole n’est-il déjà pas le signe d’une victoire ?

Rony Demaeseneer