Charles De Coster : Ixelles, mon amour

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Monument à Charles de Coster place Flagey © SPRB-DMS

Si la grande épopée de Thyl Ulenspiegel se déroule pour l’essentiel dans une Flandre en proie aux exactions espagnoles, avec quelques détours par Bruxelles, la vie de Charles De Coster quant à elle (1827-1879) est étroitement liée à Ixelles, une commune qui était en pleine expansion à l’époque de la rédaction du livre, avec la création de grands boulevards bourgeois, de l’avenue Louise et du Bois de la Cambre.

De Coster doit être considéré comme le fondateur des Lettres belges, une littérature qui ne cessera de vouloir s’affranchir au 19ème siècle de son encombrante voisine française. Si le romancier est mort dans le dénuement et quelque peu oublié de ses contemporains, la commune d’Ixelles l’a mis à l’honneur à plusieurs reprises. Passons en revue quelques lieux qu’il a honorés de son intelligence et de sa verve ou qui lui sont tout simplement dédiés.

Adolescent, il est inscrit au Collège Saint-Michel qui se trouvait alors rue des Ursulines (actuel Sint-Jan Berchmans). Un futur libre penseur chez les Jésuites : ce ne sera pas le dernier ! Il passe sa jeunesse rue des Minimes à proximité des Marolles, ce repaire de marginaux gouailleurs, de voleurs hardis, d’ivrognes invétérés, mais surtout d’un peuple authentique dans ses traditions breugheliennes de kermesses et de ripailles, un peuple qui ignore encore l’arrogance du Palais de Justice : une source littéraire certaine pour De Coster. Il poursuit ses études à l’ULB de la rue des Sols dans le prestigieux Palais Granvelle contemporain de Thyl (actuelles Galeries Ravenstein). Avec ses amis, il aime à se perdre dans le quartier interlope de la Putterie semé d’estaminets enfumés et hanté par les racoleuses (remplacé depuis par la Gare centrale et ses hôtels en carton-pâte). La suite de sa courte vie se passera à Ixelles le long de « la grande coulée » de la chaussée du même nom, comme l’écrivit Ghelderode, un quartier ouvrier et plutôt socialiste. Plus particulièrement au 78 rue de la Tulipe et au 35 rue du Viaduc où il écrivit durant dix ans la truculente Légende de Thyl Ulenspiegel (1867). Si Les légendes flamandes lui apporteront un succès d’estime, son chef-d’œuvre, libertaire et anticlérical, restera confiné aux cénacles intellectuels alors qu’il était destiné au grand public. Notons que ses amis lui avaient décroché un poste de répétiteur à l’École militaire sur le site de l’abbaye de la Cambre. De quoi le faire vivre…

Largement incompris de ses contemporains, Charles De Coster meurt exténué et criblé de dettes dans les combles du 116 rue de l’Arbre Bénit que le mécène Edmond Picard ornera d’une plaque commémorative au texte insolite (côté rue Mercelis). Il est bien entendu inhumé au Cimetière d’Ixelles. Sa tombe fut très vite menacée de désaffectation. Sous l’impulsion de Camille Lemonnier, la dépouille sera ré-inhumée et la nouvelle sépulture rehaussée d’une impressionnante sculpture représentant Thyl Ulenspiegel. C’est la même génération d’écrivains (et les pouvoirs publics, c’est trop rare pour ne pas le souligner) qui fera édifier au bord des étangs d’Ixelles un monument esthétique et raffiné en l’honneur de l’écrivain « maudit » et de ses fétiches Thyl et Nelle. Il est truffé de symboles, dont certains sont peut-être maçonniques : Charles De Coster avait en effet été initié à la Loge des Vrais Amis de l’Union et du Progrès réunis où il côtoiera son ami Félicien Rops et Albert Lacroix, son futur éditeur. Il y fera même quelques lectures de sa Légende d’Ulenspiegel. Son médaillon trône toujours au parvis du Grand Orient de Belgique, rue de Laeken. L’Obédience a publié en 1983 une précieuse édition bibliographique de la fameuse Légende en hommage à son écrivain épris de liberté de conscience et de fraternité…

Joël Goffin


Article paru dans Le Carnet et les Instants n° 193 (janvier 2017)