Françoise Mallet-Joris, au-delà des apparences

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Françoise Mallet-Joris

Une quinzaine de romans, des recueils de nouvelles, des biographies, des prix littéraires : Françoise Mallet-Joris, qui siège au jury Goncourt et est membre de notre Académie royale, est loin d’être en littérature une novice. Elle défend avec conviction et enthousiasme ce roman foisonnant, aux multiples intrigues, qu’elle publie aujourd’hui. La maison dont le chien est fou lui permet d’exprimer une fois encore sa passion pour l’écriture – ce livre-ci lui a demandé trois ans de travail –, son intérêt pour l’histoire et les sciences, et sa sympathie pour des personnages féminins généreux, souvent en marge de l’ordre du monde.

Novice, Violette l’a été, avant que la mère supérieure du couvent ne l’encourage à quitter une congrégation qui risque de disparaitre. Nous sommes en France, en 1902. La séparation de l’Église et de l’État par la loi Combes, les polémiques autour de Dreyfus, l’application des méthodes anthropométriques du célèbre Bertillon servent de cadre historique à l’enquête de Violette, qui travaille comme dactylo à la préfecture de police.

« Elle est en effet hébergée par un jeune peintre fauché, Étienne Aubertin, soupçonné d’avoir manigancé la disparition de son épouse en pleine mer. Et la question du roman, c’est fondamentalement celle des apparences ou des présomptions de culpabilité face à l’innocence », explique Françoise Mallet-Joris. « Celle de Dreyfus sert de toile de fond, je ne m’y attarde qu’indirectement, à travers les interrogations et le rôle ambigu de Bertillon. Mais l’innocence, ou la culpabilité jamais prouvée du peintre, sont au cœur du récit. Comme pour l’innocente Violette elle-même, qui voulait lettre son ingénuité au service de la foi, et que l’on a blessée. C’est une sorte d’enquête policière à l’envers : devant l’hostilité générale dont est victime le peintre, Violette veut démontrer qu’il est innocent, ce qui est plus difficile encore que de réunir les preuves de sa culpabilité. Elle-même s’identifie un peu à lui, puisqu’elle a été victime d’un rejet de sa vocation religieuse, dont elle n’a pu se justifier. Et plus elle avance dans cette enquête, qui est aussi une initiation personnelle, plus elle se rend compte que ni le peintre auquel elle s’identifie, ni Bertillon qu’elle admire, ne sont totalement innocents. Parfois, on n’a pas les preuves de la vérité. Et ce n’est pas parce qu’on est innocent d’un crime, qu’on est innocent de tout. Dès lors, c’est tout un engrenage infernal qui se met en place ».

mallet joris la maison dont le chien est fou

Votre roman, sur ce point, n’est pas très éloigné de l’actualité…
Oui, c’est une réflexion qui, compte tenu de l’effervescence politique et judiciaire de l’époque, et de la montée du journalisme moderne, n’est pas sans rappeler celle que nous connaissons aujourd’hui… La personne qui est en dehors des critères socialement admis est plus facilement victime de ce genre d’ostracisme, qu’une autre. C’était vrai au début du siècle, ce l’est encore maintenant. Sans prendre position sur aucune affaire non jugée encore, je suis frappée par l’ambiguïté des choses. Il est certain qu’il n’y a aucune présomption d’innocence : quoi qu’ils fassent, en bien ou en mal, ceux qui sont dans le collimateur ne peuvent pas s’en sortir.

Dans Les larmes, votre roman précédent, vous décortiquiez les méthodes scientifiques, et ici celles de Bertillon, pourquoi ?
Essentiellement pour le rapport au corps. Bertillon a été l’un des premiers à rendre efficaces les identifications policières à partir d’une combinaison de données, telles que les mensurations, les détails du visage, les empreintes digitales. Dans Les larmes j’évoquais en effet un chirurgien pratiquant la céroplastie, un art scientifique qui a complètement disparu mais qui était le modelage de cire à partir de cadavres. L’aspect « scientifique » de mes romans résulte de mon intérêt personnel pour l’histoire des sciences, un intérêt que je tiens peut-être de ma mère, Suzanne Lilar.

Comment écrivez-vous un roman comme celui-ci ?
J’écris généralement le matin, tous les jours de 7 heures à midi, parfois à la main, parfois à la machine. Je fais des fiches pour les éléments historiques. Mais surtout pas d’ordinateur ! Je connais trop d’écrivains qui ont effacé, par pure maladresse, 50 ou 60 pages d’un livre en cours. L’après-midi, je fais des lectures, je me documente, je reste dans l’ambiance de la période sur laquelle je travaille. Écrire est un plaisir.

Alain Delaunois


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°97 (1997)