Bernard Quiriny, Une collection particulière

Microcosmes

Bernard QUIRINY, Une collection très particulière, Seuil, 2012

quiriny une collection tres particuliereAprès une première tentative romanesque uchronique, Les assoiffées, qui imaginait une Belgique devenue une dictature féministe visitée par une délégation « de très haut niveau », Bernard Quiriny revient à ses premières amours, celles qui lui valurent le Prix Rossel pour ses Contes carnivores. Un point commun réunit néanmoins ce nouveau recueil de miniatures fantasques et ce premier roman : la figure désormais récurrente de Pierre Gould dont l’étonnante bibliothèque sert de fil rouge à cette collection très particulière.

Qui est Pierre Gould ? D’origine belge – comme son auteur – il est fait d’un étrange alliage d’érudition et de roublardise. Volontiers vaniteux ou vénal, il échafaude en toute immodestie des théories qui ne reculent jamais face aux murs exigus du principe de réalité. La visite de certaines sections de sa bibliothèque confirme cette propension aux objets rares, réunis sous l’égide d’une passion qui rappelle le charme bigarré des cabinets de curiosité. On y découvre par exemple une série d’ouvrages « évaporés » qui, reliés à l’ambition de leurs créateurs d’être composés selon un équilibre parfait, continuent en silence à se corriger eux-mêmes, retranchant ici une page, là un mot ou un paragraphe, pour complaire à un idéal esthétique hanté par les sirènes de la perfection. Les oulipiens auront, eux, une tendresse particulière pour les livres gigognes dont le chef-d’œuvre pourrait bien être Matins frais, un roman du Suisse Ferdinand Hercule. D’apparence banal, c’est à la qualité de son lecteur qu’il dévoile peu à peu l’infinité des tiroirs qu’il recèle, des « sous-livres » comme les appellent Pierre Gould. Sous l’écorce du roman, un œil exercé trouvera en vrac des nouvelles, des essais, des prières ou même des dessins érotiques en reliant entre elles au crayon certaines lettres. Livre obsédant dont le piège peut se refermer sur celui qui, pour satisfaire à son désir d’y découvrir une nouvelle variante, sera tenté d’inventer de complexes algorithmes pour ajouter une clé à un trousseau déjà bien garni.

Parallèlement à la visite de cette collection de microcosmes littéraires qui aurait ravi un André Blavier, Bernard Quiriny nous invite également à déambuler dans une série de villes aux caractéristiques singulières. Le visiteur qui se rendra à Oromé, en Bolivie, sera frappé par la décrépitude d’une cité qu’aucun indice économique ou social ne semble pourtant condamner au déclin. Résignés, les habitants constatent sans broncher l’écroulement d’un immeuble ou l’accumulation des nids de poules qui rendent les routes peu à peu impraticables. À Port Lafar, en Egypte, l’attraction touristique majeure est une maquette de la ville réalisée avec un zèle obsessionnel par un chauffeur de taxi retraité, ouvrage qui fait écho aux livres gigognes rassemblés par Pierre Gould. Dernière série jubilatoire, Notre époque s’amuse de modes imaginaires ou d’étrangetés qui, du droit absolu pour un individu de changer son patronyme à une épidémie de permutation des corps lors de l’acte sexuel, multiplient les plaisirs de visiter en compagnie de Pierre Gould ces mondes drôles et inquiétants dont Bernard Quiriny s’est fait le malicieux démiurge.

Lorent Demeuze


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°171 (2012)