Bernard Quiriny, un wallon de France couronné à l’unanimité par le jury du Rossel pour Contes carnivores, éclate de talent.
Six prix littéraires ont récompensé Contes carnivores (Seuil), parmi lesquels le Prix Marcel Thiry à Liège et le Prix du Style en France. On ne s’en étonnera pas. Bernard Quiriny, jeune trentenaire est un fabuleux raconteur d’histoires. Pas plus loquace que ses personnages, son intérieur de tête bouillonne en revanche de récits fantastiques, de femmes à peau d’orange qu’on n’épluche pas sans risque, d’évêques gémeaux, d’amoureux poursuivis par des voix ou des reflets, de quiproquos ouvrant des possibles aussi vertigineux que malicieux.
Son premier recueil L’angoisse de la page blanche (Phébus) donnait le ton tout personnel de celui, qui les varie à merveille. « La première phrase: voilà l’ennemi », écrivait-il en guise… de première phrase. La logique supposait de commencer par la seconde, mais dès lors elle ne serait plus la seconde… L’écrivain se nommait Pierre Gould, « auteur belge » comme pour ajouter à l’incongruité. Car Bernard Quiriny bien qu’originaire de Gouvy vit en France depuis plus de vingt-cinq ans. D’où lui vient alors cette touche exotique pour un bourguignon, ce parfum de Norge, Nougé, Marïën, Muno, Sternberg?
« J’ai appris sur le tard qu’il y avait en Belgique une lignée d’auteurs surréalistes et post-surréalistes dont les préoccupations et la tournure d’esprit étaient proches de ce que j’essaye de faire. Je les découvre peu à peu. Quelqu’un m’a offert Sortilèges de Ghelderode que j’ai aussitôt installé dans mon Panthéon. Je n’explique pas autrement que par une sorte de belgitude impalpable ou génétique que je me sois spontanément trouvé si proche de ces auteurs que je ne connaissais pas ou seulement de nom»
Le cousinage est aussi latino-américain, tant par la faculté de faire déraper l’anodin à la Cortazar, de rater une marche du labyrinthe de Borges, que par la diversité, le soin jaloux de la langue, en l’occurrence, française. Bernard Quiriny revendique ses lectures, et admire autant Edouardo Berti, l’auteur argentin contemporain de « La vie impossible » que les classiques du XIX ème qui nourrissent son élégance retenue, ce sens du phrasé qui incite à lire à voix haute, au coin du feu, ces histoires délectables. Ses emprunts à Stevenson ou à Thomas de Quincey (De l’assassinat considéré comme un des beaux-art) ne se contentent pas du pastiche ou de l’inversion d’idée. Ils les magnifient en quelque sorte par un hommage ludique au charme savamment désuet mais explosif. C’est que l’étrange s’immisce dans un univers banal qui se révèle doucement absurde- bien que rigoureusement logique, cela va de soi- et mène le lecteur au point final, toujours inattendu.
Le temps s’amollit telle la montre de Dali, présent, passé, futur se fondent dans l’instant et un seul espace: celui de l’esprit. Les esprits ne sont guère dérangés pourtant, pas d’hallucinations morbides, rien que des incursions étonnantes dans une dimension démultipliée par l’ennui, la routine, le silence de vies ordinaires. Les personnages de Contes carnivores croisent les petits messieurs de Pessoa, de Marcel Aymé, de Thurber ou Sempé. Petits employés de bureau, quidams, excentriques en chambre dont tous ignorent les particularismes. L’auteur reconnaît une tendresse pour ces anonymes, « le héros neutre le rond-de-cuir consciencieux, le brave célibataire calme et honnête, celui qu’on ne regarde pas. Mais c’est aussi la loi du genre fantastique, le héros doit être simple, transparent à l’origine. » Pourtant la menace feule de ces histoires tranquilles, sous la forme d’obsessions monomaniaques, de passions dévorantes. Fort heureusement, la psychologie est absente mais pas l’humour qui, dans ces récits, jouent à jouer avec le lecteur et avec les personnages. Un dénommé Gould, revient plusieurs fois, dédoublé tels les messieurs à chapeau boule de Magritte, à chaque fois nanti d’autres fonctions, auteur de catalogues abscons, d’annuaires inutiles, minutieux, exhaustifs et permanents comme ce recensement des « donneurs de leçons », ou celui de musiciens aussi fameux qu’inexistants. On trouve encore d’autres régalades, des écrivains célèbrent, qui n’ont rien écrit, ou encore cet inénarrable rapport linguistique d’une langue idiote, celle que pratiquent les Yapous, extraordinaire de tribu amazonienne, descendante des Bachi-bouzouks du capitaine Haddock…
Sophie Creuz
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°155 (2009)