Lucien Binot, André Baillon, histoire d’une « folie »

Avec Baillon

Lucien BINOT, André Baillon, portrait d’une « folie », Le cri, 2001
André BAILLONRoseau, Le cri, 2001

binot andre baillon portrait d'une folieAndré Baillon (1875-1932) est déci­dément un auteur qui suscite les vo­cations : ses lecteurs ne se conten­tent pas de le lire,  ils veulent le faire connaître.

En cette année 2001, deux spécialistes de Bâillon ont publié un livre à son sujet. Après André Bâillon, Le gigolo d’Irma Idéal, de Frans Denissen dont il a déjà été ample­ment question dans Le Carnet, sort à pré­sent au Cri André Baillon, Portrait d’une « folie » de Lucien Binot. Juriste, produc­teur de télévision, comédien et metteur en scène, Lucien Binot défend Baillon depuis de longues années : en 1968, il a adapté pour le théâtre puis pour la télévision ses romans Un homme si simple et Chalet 1. Autre caractéristique de la postérité de Baillon : elle suscite les lectures les plus va­riées. Les deux publications de cette année, extrêmement contrastées, illustrent cette di­versité de plusieurs façons. D’abord, Frans Denissen cherche à briser l’image tragique de Baillon et insiste sur l’humour et l’origi­nalité de l’écrivain, tandis que Lucien Binot brosse le portrait d’un neurasthénique mor­bide en insistant sur son suicide.

Ensuite, dans sa biographie, Denissen refuse de croire sur parole les récits (pour la plupart autobiographiques) de Baillon et mène un véritable travail d’historien, cherchant les traces matérielles du passage de l’écrivain dans les différents endroits où il a vécu. Son attitude s’étend aux exégètes traditionnels de Baillon et aux travaux universitaires qu’il a suscités : Denissen les a lus mais il fait tabula rasa et nous raconte ses démarches et ses résultats. Lucien Binot prend le parti contraire : il prête foi aux récits de Baillon, allant jusqu’à considérer comme autobiographique Le perce-oreille du Luxembourg, alors que les commentateurs s’accordent ha­bituellement pour dire que l’auteur y mêle ses traits à ceux d’un malade rencontré à l’hôpital psychiatrique. Binot s’appuie aussi sur la correspondance de l’auteur et sur les écrits de ses proches, notamment de Marie de Vivier, la dernière de ses conquêtes amoureuses. Et, alors que Frans Denissen se met plaisamment en scène à travers ses dé­marches et ses doutes personnels, Lucien Binot s’efface avec modestie : il donne sans cesse la parole à Baillon, à ses contempo­rains et à ses nombreux commentateurs. Le propre texte de Binot est d’ailleurs écrit en italique et ne sert souvent qu’à lier deux ci­tations.

Le livre de Binot est donc un parcours de la vie et de l’œuvre de l’auteur d’Histoire d’une Marie, un recueil ordonné des jugements et des analyses qu’ont suscités l’homme et ses romans, un « copié-collé » multiple qui place l’auteur dans un vaste intertexte non seulement critique, mais aussi littéraire. Binot cite en effet plusieurs écrivains dont la thématique se rapproche de celle de Baillon : le cas le plus intéressant est sans doute Henri Michaux dont on croise sou­vent Les ravagés. Enfin, au terme de son parcours, Lucien Binot s’entretient avec des metteurs en scène ayant, à sa suite, adapté Baillon au théâtre.

On trouve dans ce Portrait d’une « folie » des textes peu connus (lettres de Baillon, anciennes préfaces, articles de presse, ex­traits de dictionnaires ou d’histoires litté­raires, jugements de divers écrivains con­temporains, notamment de Ghelderode…) et presque tous les grands commentateurs de Bâillon sont présents. « Presque » car il en manque malheureusement un, et non des moindres : Denissen, précisément, évoqué in extremis sans être intégré à l’en­semble. C’est le reproche que l’on peut adresser au minutieux travail de Binot : sur certains points, il revient en arrière par rap­port à ce qu’a démontré le biographe. Aussi, soyons honnête : le livre de Lucien Binot est sympathique, chaleureux, amu­sant à lire, riche d’informations, pratique (grâce à son index et à ses nombreuses no­tices), mais il ne fera sans doute pas date comme celui de Denissen, passionnant de bout en bout, plus moderne, plus serré dans l’analyse et apportant des données tout à fait neuves. Il n’empêche que tous deux contribuent à mettre en lumière un écrivain qui le mérite.

baillon roseauTout en publiant Portrait d’une « folie », Le cri sort dans sa collection de poche Roseauroman de Baillon qui n’avait jamais été ré­édité depuis sa sortie en 1932. Comme le rappelle Chiara Gnocchi dans une préface claire et brillante, Roseau est un texte mi­neur que Bâillon a écrit à la fin de sa vie. Mais, s’il n’est pas aussi génial qu’Un Homme si simple, Délires ou Histoire d’une Marie, ce roman ultime n’en demeure pas moins un bon livre, plein d’humour et de fausse candeur, écrit dans ce style inimi­table et attachant. Lisons Baillon !

Laurent Demoulin


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°120 (2001)