Marcel Mariën, La boite noire

Chauffe Marcel !

Marcel MARIËNFigures de poupe, Didier Devillez, 1996
Marcel MARIËNLa boite noire, Les marées de la nuit, 1996

marien la boite noireA peine avons-nous eu le temps de nous aventurer sur Le chemin qui ne mène pas à Romeparu récem­ment chez Plein Chant, que deux nouveaux livres de Marcel Mariën nous arrivent, à croire que, décidément, il ne nous a jamais quittés. Le premier est l’utile réédition par Didier Devillez des admirables nouvelles (admi­rables tant par leur humour que par leur brièveté) que sont Figures de poupe (dont l’originale, parue chez Jean-Claude Simoën en 1979, était épuisée depuis belle lurette), quant au second, nous le devons au zèle de Xavier Canonne, qui nous offre La boîte noire aux Marées de la nuit.

Jamais Mariën ne se séparait de petits car­nets, aux pages desquels il livrait, dans l’ins­tant même où elles lui arrivaient, ses « fu­sées » ravageuses. Car les aphorismes sont comme les chats : ils ne viennent à vous que lorsqu’ils en ont envie. La plupart de ces étincelles de lucidité (si ce n’étaient des éclairs de génie), il les publiait dans sa revue Les Lèvres nues (souvent dans une rubrique intitulée « Le Phraseur »), quand il ne les rassemblait pas en volume, comme dans La Licorne à cinq pattes, qui parut en 1986. Les fragments que voici, qui étaient tous iné­dits, ne sont pas exempts d’une noirceur immaculée et livrent une implacable vision du monde (C’est vrai qu’il est « bas » !), dans laquelle on aurait tort de voir œuvre d’humoriste, même si le pessimisme foncier de celle-ci s’avère souvent joyeux. En sus des maximes de haute solitude de celui qui jamais ne marcha au pas,-nous sommes ici gratifiés d’une collection de succulentes canailleries, vannes adressées à quelques-uns de ses proches ou simplement contempo­rains que, comme le dit Canonne, « la sen­tence écarte comme la main chasse l’insecte ». (« Théodore Kœnig n’a pas de sphincter intel­lectuel », « Serge Creuz mais le sol est dur »…) Les bibliophiles ne manqueront pas de se délecter du fac-similé de L’Aide-Mémoire enrichissant les exemplaires de tête, qui nous met au parfum de l’essentiel quant à notre condition de biodégradable.

André Stas


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°92 (1996)