Nicole VERSCHOORE, L’innocence en Italie, Bruxelles, Le Cri, 2014, 240 p., 18 €
L’innocence en Italie. Un joli titre, qui suggère des images, des émois, la grâce et la maladresse des premiers pas hors de l’enfance. Nicole Verschoore l’a choisi pour son nouveau recueil de nouvelles, et pour l’une d’elles, aux accents très personnels.
L’innocence en Italie. La conteuse se souvient des étés chatoyants, à Capri, de cette adolescente venue de Gand à l’invitation de la Signora Brindisi, veuve de l’ancien maire de Naples, aussi grande et blonde que les filles sur l’île sont petites et brunes. Deux mois qui se renouvellent chaque année, de ses treize à ses dix-sept ans, baignés de lumière, de couleurs, d’enivrante beauté, de vent marin, d’odeurs de fruits… Marqués par deux rencontres.
L’une lui ouvre des horizons dans les domaines, pour elle encore vierges, de la littérature, l’art, la philosophie, par la voix d’un vieil ami de la Signora, le baron hollandais Paanakker, mentor inoublié de ses étés de collégienne. L’autre, sous les traits d’un jeune et brillant avocat, familier de la maison, sûr de lui, conquérant, hâbleur, captive et amuse la petite fille, qui adore l’écouter, se promener avec lui, et il croit pouvoir, au fil des saisons, séduire la jeune fille. Mais notre ingénue sent qu’il est trop tôt pour aimer.
Réparties en trois thèmes – Traversées, L’amour, Destinées –, ces nouvelles varient de ton, de climat, de rythme.
C’est parfois un récit à épisodes, tel Harry ou l’ouragan : le voyage en train dont se délecte cet homme d’affaires américain, répit voluptueux dans l’agenda serré d’une existence trépidante, tourne court brutalement. Un ouragan balaye la Belgique, le réseau ferroviaire est paralysé, sur les routes les accidents se multiplient, des arbres sont déracinés. Impavide au milieu de l’affolement qui gagne les voyageurs, Harry écoute de la musique, rêve, noue une conversation virant aux confidences avec une passagère prénommée Nicole, attendue à Gand pour un concert – qu’elle manquera.
Ailleurs, l’histoire tient dans une vision, que l’art du conteur Lius prolonge en épopée : le galop sans fin du cavalier des steppes, jusqu’à l’extase. (Le cavalier de la solitude)
Bien réel, au contraire, apparaît Le vieux couple, qui ne s’est jamais bercé d’illusions. « Dès les premiers temps de leur mariage, elle avait cru qu’elle demanderait le divorce. » Et pourtant, au couchant de sa vie dont l’époux se tint le plus souvent absent, absorbé par sa carrière professionnelle, participant à peine, du bout des lèvres, aux joies et soucis du foyer, elle mesure que, par-delà les déceptions, les amertumes, elle a partie liée avec lui.
Très vivante, sonnant juste dans ses interrogations, son émotion, ses doutes, nous retient l’étrange rencontre, après six ans de silence, entre Bertrand et Michael. En quelques jours, ils s’étaient découvert naguère une connivence immédiate et intense, coup de foudre d’amitié, promesse de lendemains – qui ne sont pas venus. Rompant une longue parenthèse, Michael, de passage à Bruxelles, fait signe à Bernard, qui cultive sa liberté de solitaire, sans attaches. Se revoir, serait-ce se retrouver ou risquer de se perdre sans retour ? (Le monologue interrompu)
La trame semble parfois un peu mince (Le couvre-lit). Le portrait, moins achevé qu’on n’eût aimé (Mademoiselle Dubois). Et il arrive qu’une idée prenante – un rêve qui resurgit, au cours des années, autour d’un personnage dont la narratrice a gardé le souvenir lumineux – se dilue dans des nuances, des subtilités sans fin. (Un rêve)
De Traversées en Destinées, Nicole Verschoore raconte, se souvient, imagine. D’une plume claire, posée, sans aspérités ni fioritures, qui hausse rarement le ton mais peut se montrer incisive. « Certains morts reviennent, ceux que nous n’appelons pas. Les bons qui nous manquent ne reviennent pas, comblés dans l’au-delà par nos pensées et nos regrets. »
Francine Ghysen