Hiatus existentiel

Jacinthe MAZZOCCHETTI, La Vie par effraction, Quadrature, 121 p., 15 €/epub : 9.99 €   ISBN : 978-293053849-5 

mazzocchettiL’adolescence est communément définie comme la période débutant à la puberté de l’humain, et séparant l’enfance de l’âge adulte. Cette acception biologique se traduit par nombre de chamboulements : le corps se dé- et reforme, l’esprit s’affranchit, les hormones s’affolent, les émotions s’exponentialisent, les cercles sociaux se reconfigurent, la conscience de la vanité de la vie percute. C’est un moment de transition dysharmonique, de tiraillements et d’éclats, de maturation de l’être en devenir. Un hiatus existentiel.

Sous la plume de l’anthropologue Jacinthe Mazzocchetti, ce temps de rupture(s) se matérialise dans dix nouvelles, portant chacune (à l’exception de la dernière) le prénom d’un ou deux jeunes dans la tourmente. Tous vibrent, à des degrés divers, d’un manque de reconnaissance, d’un besoin d’affirmation, d’un désir de légitimation. C’est ainsi que Jessica fuit la glace maternelle à la recherche du feu paternel, qu’Eglantine scelle son destin au néant qu’elle pense incarner, qu’Antoine et Nina se voient sans se voir dans le métro bruxellois, que Léa fustige les expressions creuses façonnant un monde hypocrite, que Vlad le rescapé illégal implose et explose, que Margot joue la pianiste de renom et du renon, que Louis est meurtri et balloté par une Marine aux injonctions paradoxales, que Maria s’ancre en pluie de larmes et lumière, que Samira et Julien couvent avec heurts le fruit défendu de leurs amours, qu’« Elle » et « Lui » se perdent et se délitent dans l’anonymat du virtuel. Et tous de se débattre dans une « vie par effraction ».

Le style haché et les formules poético-percutantes de Mazzocchetti donnent corps et rythme au recueil, tout en faisant un juste écho à la teneur du titre, porteur de débris et de luttes. « Je n’ai pas bougé. Pas un millimètre. Après quelques minutes de cris, de bruits et enfin, de silence, j’ai à nouveau pu jouir de ma transparence. J’aime ce mot. Prononcé dans son entièreté, il se rime à lui-même, chante, ondule. Prononcé dans les détours de ses découpes, il s’oppose, se contredit, se discute, s’auto-suffit. Trans-pas-rance. » Grâce à ces proses où surgissent aussi puissamment volonté d’exister et de s’annihiler, aspiration au cri et au silence, revendication de l’appartenance et de la différence, quête de Soi et de l’Autre, le lecteur pénètre l’ambivalence et les tensions de cet âge de l’entre-deux.

Samia Hammami