Jannin et nous… Trop de tout, Entretien avec J.-C. de la Royère, Catalogue officiel de l’exposition Jannin et nous tenue au Centre belge de la bande dessinée à Bruxelles du 22 septembre 2015 au 5 mars 2016, Éditions Lamiroy, 76 p.
On a tous quelque chose en nous de Frédéric Jannin. Combien de lecteurs de Germain et nous n’éprouvent pas, tel le bien denté Luc-Luc, l’irrésistible envie de sauter en hurlant : « Waouw ! Terrible ! Plus fort ! » à chaque fois que vient à passer, dans les diffuseurs du magasin où ils font leurs courses, une daube qu’ils adorent ? Quel fan authentique de l’électro made in Belgium n’a pas fait ses gammes – ou du moins répété devant son miroir de langoureuses passes – sur Whooo are you, What’s your name ? Quel amateur de jardinage ne s’est pas inspiré des pièges machiavéliques tendus par Arnest Ringard afin de coincer la taupe responsable des permanents saccages de son potager ?
L’homme s’est attaché à ne jamais faire carrière, voilà ce qui lui a garanti d’être indémodable. Laisse-t-il même une œuvre ? Ce serait aller un peu vite en besogne que de prétendre établir le bilan d’une création en mouvement perpétuel et qui réserve encore bien des surprises. Quoi qu’il en soit, l’exposition qui lui est consacrée à Bruxelles aura, d’après ses propres dires, permis à Jannin de vider ses caves du « trop de tout » qu’il y avait accumulé en près de quatre décennies d’incessante activité.
Jannin n’a jamais écouté son père qui lui conseillait d’arrêter de jouer au touche-à-tout pour se consacrer à une seule chose, « mais à fond ». Il a préféré y aller à l’instinct, voir ce qui pouvait éclore des estimes et des amitiés, faire confiance à l’heureuse fécondité du hasard. Dans ce long entretien – plutôt cette conversation informelle –, il dévoile la lettre qu’il envoya à sept ans à Disney, avec la ferme intention d’être embauché en ses studios – et l’on sait gré au grand Walt d’avoir rangé verticalement ce CV. Il évoque, sans nostalgie pesante ni trémolo de vieux briscard, son parcours de bédéaste, de musicien, de vidéaste, d’humoriste, bref, d’amuseur assumé.
« Assumé » parce que ce ket-là est un spécimen rare d’optimiste sans niaiserie qui a la saine impertinence de ne rien regretter – en tout cas rien de ce qu’il nous confie ici. À le lire, on mesure son importance dans notre paysage zygomatico-médiatique. Oui, ce Premier Prix en Désobéissance mérite sa place centrale sur la photo de groupe où l’élite francophone de l’esprit potache et la crème des têtes à Toto sont réunies autour de sa bouille de p’tit Kitan. « De ptit Kitan ? » « De p’tit qui t’emmerde ! »
Jannin, c’est peut-être un « trop de tout », mais dont on n’a jamais assez.