Mystères dans l’ombre

Liliane SCHRAÛWEN, Ailleurs. Nouvelles, M.E.O., 2015, 152 p., 16 €

Ailleurs. Un titre qui fait rêver. Loin d’ici, le ciel ne serait-il pas plus bleu, l’horizon plus vaste, appelant les découvertes, les hasards heureux, l’envol des possibles ?

Le dernier recueil de nouvelles de Liliane Schraûwen, dont on n’a pas oublié les romans, de La mer éclatée à Lignes de fuite, ni les nouvelles composant Instants de femmes, a choisi le mode grave, ourlé d’angoisse, parfois tragique, pour faire sourdre et palpiter les mystères tapis dans l’ombre. Tenter d’élucider une prédiction énigmatique, de déchiffrer une fatalité inexplicable. Sous l’exergue de Louis Calaferte : « Il n’y a d’ailleurs qu’en nous-mêmes ».

Dès le premier récit (Derrière la porte), le ton est donné. Que cache la haute porte inconnue qui vient de s’entrebâiller, avec un léger grincement, devant celle qui hésite à la franchir, pressentant un piège auquel elle ne pourra échapper ?

Le gris vire au noir dans La solution, le mot se révélant d’une ironie glaçante pour qualifier le dénouement de la relation inextricable entre deux frères jumeaux, Simon et Denis, irrémédiablement proches et différents, liés et séparés :

Nous ne sommes pas complémentaires, nous ne sommes pas les deux moitiés d’un seul être, nous sommes les deux côtés du miroir.

D’une histoire à l’autre, la mort rôde (La conférence, Le cri…) ; la folie guette, qui côtoie quelquefois la lucidité (La fin de Dieu) ; le fantastique se joue de la réalité, s’y mêle et la transcende (La grotte).

Ici, des amis s’aventurent joyeusement à faire tourner les tables, en l’occurrence un guéridon ancien (Esprit, es-tu là ?), mais les rires s’altèrent, la plaisanterie se noie dans le drame (Le messager).

Là, la magie – le mirage ? – d’une parfaite connivence amoureuse à distance fuit l’instant de vérité de la rencontre (Même si tu ne viens pas…).

L’écriture sobre et précise de Liliane Schraûwen, souvent couleur d’encre, s’offre une seule explosion de coloris chatoyants, vifs, profonds, avant le grand chaos, dans Ailleurs, un texte tour à tour poétique et oppressant, écrit en symbiose avec les œuvres du peintre Charles Mutanganwa.

Elle s’éclaire de tendresse quand l’auteur évoque les sortilèges d’une enfance africaine inoubliable, « mon pays d’or et de soleil », propice au don merveilleux de la petite fille qui s’envolait la nuit par la fenêtre pour rejoindre Peter Pan sous les étoiles. À force de le vouloir passionnément, de l’attendre sans faiblir, le miracle peut-il se reproduire, tant d’années après la fin de l’enfance et l’adieu à l’Afrique ?

Un soir, une nuit, je saurai que le don est revenu, intact. (L’envol)

Francine GHYSEN