L’amitié en guise d’Europe

Eric PAUWELS, Quand j’étais petit, les cosmonautes vivaient aussi longtemps que les chênes, Motifs, 2016, 277 p.

pauwelsUn homme, dont on devine le grand âge, entreprend un périple d’Anvers à Venise en train. Il a parsemé le parcours d’étapes amicales au cours desquelles il prendra le temps des retrouvailles avant de continuer sa route. De ce pèlerinage, on aura vite compris que l’effet recherché est de savourer l’instant présent. Le voyageur scrute les paysages qui défilent et cueille les images furtives quoi s’offrent à lui. Il en est de même des êtres qu’il croise et sa disponibilité lui vaut une belle galerie de rencontres éphémères mais toujours placées sous le signe de l’étonnement positif.

À Luneville, la première de ses étapes, il retrouve Martin, jeune travailleur social actif dans un service pour handicapés mentaux. Avec lui, il observe les résidents et explore les surprises de l’altérité. Non sans passer de bons moments à table en compagnie de mets et flacons dignes d’un dernier repas, rituel constant des étapes amicales.  Le train le conduit ensuite au bord du lac de Constance auprès d’Anton, avec qui il devise de cinéma et de littérature. Puis à Matrei am Brenner, village tyrolien où l’attend Louise, une anthropologue à la retraite avec qui il scrute les cultures multiples du monde. Suit encore Vérone, où vit Mirek, un historien de l’art polonais avec qui il revisite les œuvres qui les ont touchés.  À chaque fois, la même magie joue. L’ami est une personne dont la compagnie réveille des souvenirs mais surtout avec qui se déroulent les rubans d’un patrimoine européen inépuisable, démarche faite de découvertes et d’émotions, de bouleversements tout à la fois intimes et partagés, bribes d’un trésor collectif. Le prisme varié des rencontres, qui touchent à différentes facettes du savoir, décuple les approches sans les hiérarchiser, offrant un kaléidoscope aux combinaisons infinies.

À Venise, où il a prévu de passer du temps seul face à lui-même, une rencontre ultime l’attend, imprévue celle-là. Comme il est prêt à en saisir la chance, elle ne sera pas moins riche que les autres, que du contraire. À telle enseigne que ce voyage, qui pourrait être le dernier, est tout sauf un adieu. La présence au monde de cet homme est à son maximum : il aborde les choses avec une sagesse positive qu’on lui envie, sans renoncer en rien à ses rêves d’enfant, avec un art subtil de prendre le meilleur sans le pire.

Au terme de ce périple narré en termes élégants qui célèbre la culture partagée par-delà les diversités d’âge, d’origine et de formation, on se prend, sans que la chose soit nommée, à mesurer une des chances de l’Europe, celle qui permet aux gens de circuler, d’échanger sans entrave et de fraterniser.

Thierry DETIENNE