Archives par étiquette : art

Les deux amours de Lôc Vàng, chanteur à la voix d’or et à la vie tragique

Un coup de cœur du Carnet

Tuyêt-Nga NGUYEN, 927, Onlit, 2023, 300 p., 18,5 € / ePub : 9,49 €, ISBN : 978-2-87560-171-1

nguyen 927927, 3 chiffres en titre pour condenser tout un roman. 927, 3 chiffres auxquels on a tenté de réduire la vie et l’art d’un homme. 3 chiffres qui cachent toute l’émotion qui se dégage à la lecture des mémoires de cet homme, Lôc Vàng, chanteur de Nhac Vàng (Musique jaune, d’or), genre musical vietnamien qui n’est pas sans rappeler le boléro et parle d’amour, de cœurs brisés, de la condition humaine et qui fut interdit par le pouvoir communiste dans les années 60. 927 n’est pas le titre de ces mémoires mais celui du nouveau roman de Tuyêt-Nga Nguyên dont ils sont une part. Nous expliquons. Continuer la lecture

Vrai ou faux ?

Arnaud NIHOUL, Le témoin silencieux, Genèse, 2023, 256 p., 22,50 €, ISBN : 9782382010242

nihoul le temoin silencieuxLe doute est bien souvent le meilleur moteur d’une enquête policière. Il est nourri par le sentiment trouble, encore indéfini, que l’on ne peut se résoudre à accepter pour telles les conclusions tirées d’un enchainement de faits que rien ne semble relier. À la base, deux décès et une disparition. Continuer la lecture

Alliances entre morts et vivants

Vinciane DESPRET, Les morts à l’œuvre, Empêcheurs de penser en rond, 2023, 176 p., 20,50 € / ePub : 14,99 €, ISBN : 9782359252439

despret les morts a l'oeuvreProlongeant les questionnements posés dans Au bonheur des morts. Récits de ceux qui restent (La Découverte/Les Empêcheurs de penser en rond, 2015), Vinciane Despret consacre son nouvel essai à la mise en récit de cinq histoires qui témoignent de la manière dont les morts font agir les vivants. Le « comment raconter ? » des vies interrompues, des existences précipitées dans la mort fait partie intégrante d’un dispositif de pensée qui révolutionne et conteste les antiennes de la notion cardinale de travail de deuil dans l’Occident contemporain. La pensée thérapeutique et économique d’un deuil que l’on doit travailler, perlaborer afin de regagner le rivage de la vie, de se détacher de l’abîme laissé par l’absent fait place à une pensée des relations entre ceux qui restent et ceux qui sont encore là tout en n’étant plus à nos côtés. La singularité des réflexions provient ici du protocole d’expérimentation artistique qui relie les cinq histoires : les intervenants, les citoyens de chacun de ces cinq récits de décès ont fait appel au collectif des Nouveaux Commanditaires créé par François Hers en 1990, un collectif qui attribue la création d’une œuvre plastique, musicale, littéraire, théâtrale, architecturale… à un artiste contemporain chargé de réaliser un « monument de sensations » (Deleuze) permettant de rendre présents celles et ceux qui ont été fauchés par la Camarde. Continuer la lecture

Maeterlinck aux Musées royaux des Beaux-Arts

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Illustration pour la pièce « Les Aveugles » – © Olivier Guyaux Atelier de l’Imagier

Depuis le 21 décembre, le Musée Fin-de-Siècle expose les trois volumes du Théâtre de Maeterlinck illustrés par Léon Spilliaert. Une œuvre unique et exceptionnelle.  Continuer la lecture

Ombre est lumière

Un coup de cœur du Carnet

Pierre DE MÛELENAERE, Thunder and Lighting, Totalism, 2022, 68 p., 22 €, ISBN : 978-2-87560-163-6

de muelenaere thunder and lightningLe Cœur des ténèbres de Joseph Conrad, qui est à l’origine de cet ouvrage graphique, peut être considéré comme la traversée hypnotique du paysage africain le long d’un fleuve qui  est  un serpent délové et « coule sans un murmure, le long d’une forêt qui ressemble à un masque ».

Un tel parcours, où se rencontrent les choses les plus abominables de la colonisation, s’apparente, selon l’auteur, à une remontée vers « le visage effroyable de la vérité » qui ne cesse cependant pas de se dérober. Et l’on comprend qu’il soit à la fois fascinant et éprouvant de tenter de donner une forme graphique à ce cheminement. Ils sont quelques- uns à avoir adapté le texte de Joseph Conrad. Reprenant le titre même du roman, Jean- Philippe Stassen,  à l’aide de couleurs subtiles et de dégradés de gris, met en évidence l’aspect ténébreux du romancier ; avec Kongo, Tom Tirabosco fait ressentir avec ses encres et ses pastels la moiteur de la forêt. Continuer la lecture

Stéphane Mandelbaum : la spoliation de la mémoire

Un coup de cœur du Carnet

Véronique SELS, Même pas mort !, Genèse, 2022, 256 p., 22,50 €, ISBN : 978-2-38201-021-1

sels meme pas mortDans le puzzle de la vie, il y a toujours une case qui manque. Surtout quand on s’appelle Stéphane Mandelbaum, qu’en quelques années, on a bousculé l’univers de la peinture et du dessin. Dans son cinquième roman, Même pas mort !, Véronique Sels reconstruit librement la trajectoire du peintre en l’immergeant dans les convulsions de l’Histoire, le point de non-retour de la Shoah. Pour affronter la vie éminemment romanesque, la fin tragique de Stéphane Mandelbaum assassiné en décembre 1986 à l’âge de vingt-cinq ans, elle met en place un dispositif audacieux que dévoile le titre. Continuer la lecture

Du geste graphique et poétique

Un coup de cœur du Carnet

Pierre-Yves SOUCY et Olivier SCHEFER, Vertiges de la main, Lettre volée, 2022, 80 p., 18 €, ISBN : 9782873175641

soucy schefer vertiges de la main« Que fait un poète lorsqu’il dessine ? ». Par sa question inaugurale, Olivier Schefer interroge avec brio les créations graphiques de Pierre-Yves Soucy en les confrontant aux créations poétiques. Dans les dessins au fusain, dans le dynamisme des traits, les frottages, les précipités de strates, notre œil perçoit une poétique des traces, des empreintes et des échos. En poésie et dans les arts plastiques, graphiques, Pierre-Yves Soucy se livre à une exploration des interstices. Creusant, laissant affleurer les signes, les formes, à tout le moins leur ébauche, il travaille sur l’inchoatif et l’estompement, dans le respect des matières (matière des mots, matière du visible, des traits) qu’il approche, que la main et que l’œil écoutent. Continuer la lecture

Matisse à Tanger. Pluie de l’âme

Fabien GROLLEAU, ABDEL DE BRUXELLES, Tanger sous la pluie, Dargaud, 2022, 122 p., 21 € / ePub : 13,99 €, ISBN : 9782205079715

Grolleau Abdel de Bruxelles Tanger sous la pluieDans Tanger sous la pluie, le scénariste Fabien Grolleau et le dessinateur Abdel de Bruxelles se glissent dans un pan de la vie d’Henri Matisse, dans la séquence marocaine des années 1912 et 1913 au cours desquelles il fit deux séjours à Tanger. Faisant fond sur des données biographiques, des faits consignés, la fiction prend le relais, emprunte les routes du rêve et lance sa toile imaginaire. Traversant une crise esthétique, affecté par la mort de son père, Henri Matisse et sa femme embarquent pour Tanger fin 1912. À la recherche de la fabuleuse lumière marocaine, il entend se ressourcer, quitter les coteries parisiennes, marcher dans les pas de Delacroix. La nuit de son arrivée, la pluie s’abat sur Tanger et ne relâchera pas sa pression durant quinze jours. Son rêve de peindre dans la nature, de s’enivrer de lumière s’effondre. Les caprices du climat aggravent l’impasse créatrice qu’il traverse. Les souks, les paysages, les parfums, les couleurs se dérobant à lui, il demande qu’on lui amène un modèle. Continuer la lecture

Palimpsestes de pignonnistes

Michel LAUWERS, Kennedy et le dinosaure, Roman, Murmure des Soirs, 2021, 259 p., 20 €, ISBN : 9782930657653

lauwers kennedy et le dinosaureCe roman de Michel Lauwers, Kennedy et le dinosaure, entraîne lecteurs et lectrices dans une double enquête : familiale et criminelle, intime et historique, à partir d’un reportage sur le patrimoine bruxellois, ancêtre du street art : les publicités peintes à la main sur les murs des bâtiments de la ville au siècle précédent par des artistes méconnus, les pignonnistes. Continuer la lecture

Un recueil poétique polymorphe

Stéphane LAMBERT, Écriture première, Lettre volée, 2020, 96 p., 17 €, ISBN : 978-2-87317-561-0

lambert écriture premièreAprès une œuvre déjà abondante et diverse, Stéphane Lambert revient à la poésie, cette fois dans un volume élégant publié à La Lettre volée. Un recueil important, Écriture première, tout en discrétion mais explicite dans sa simplicité, en apparence peut-être, langagière sans doute, et pourtant complexe d’inspiration. Celle-ci est clairement avouée si on distingue dans le texte différentes sections titrées, soit en dédicace à des artistes ou à leurs manifestations, à l’exclusion de tout résumé, soit en manière de possible lecture ou interprétation. Il faut en tout cas compter avec la vraie documentation en appui à un choix en connaissance certaine. Comme dans ses autres publications, essais et certains romans, Stéphane Lambert est donc ici voué à l’art.

Nous le suivrons dans son itinéraire. Continuer la lecture

Olivier Deprez. Noise gravure et épilepsie du sémiotique

Olivier DEPREZ, Wrek not work, Bibliotheca Wittockiana et FRMK, 2020, 25 €, ISBN : 9782873060047

Paru à l’occasion de l’exposition que la Bibliotheca Wittockiana consacra au projet Wrek mené par Olivier Deprez, coédité par cette dernière et les éditions FRMK, le catalogue Wrek Not Work (en français et en néerlandais) délivre un voyage dans l’œuvre gravée d’un artiste qui place la co-création (avec Adolpho Avril, Jan Baetens…) au centre de ses recherches. Son introduction de la gravure sur bois dans le monde de la bande dessinée a révolutionné le neuvième art. Interrogeant les questions de la narration graphique, du statut de l’image, de la représentation, Olivier Deprez a, depuis sa magistrale adaptation du Château de Kafka (éditions FRMK) exploré le potentiel narratif des images dans un geste qui excède et déconstruit la frontière entre figuratif et abstraction. Les sortilèges de la littérature, la tour de Babel des livres de ce lecteur passionné mais aussi les images glanées sur la toile, dans les journaux, sous-tendent et nourrissent sa démarche. Continuer la lecture

Félicien Rops. Théorie du druidisme

Félicien ROPS, Mémoires pour nuire à l’histoire artistique de mon temps, Textes présentés, choisis et postfacés par Hélène Védrine, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2019, 420 p., 10 €, ISBN : 978-2-87568-477-6

Davantage que simplement donner le ton, le titre résonne comme un manifeste esthétique. C’est dans l’espace littéraire du peintre, graveur, dessinateur et illustrateur Félicien Rops (1833-1898) que nous entrons. Le recueil Mémoires pour nuire à l’histoire artistique de mon temps se compose de textes sélectionnés par Hélène Védrine, souvent tirés de la correspondance de l’artiste, au fil desquels l’on découvre ses théories esthétiques, sa conception (mouvante, multifibrée) de la modernité, la centralité de l’érotisme, son invention d’une forme de dandysme inspirée par Baudelaire, forme qu’il appelle le druidisme. Continuer la lecture

Cécile Miguel, artiste et poète hypnotique

Yves NAMUR, Cécile Miguel, une vie oubliée, Musée Marthe Donas et Le Taillis pré, 2019, 44 p., ISBN : 9-782874-50-1562

À Ittre, le Musée Marthe Donas consacre une exposition, du 23 novembre 2019 au 19 janvier 2020, à une figure de la peinture et de la poésie francophones belges, Cécile Miguel (Gilly, 1921 – Auvelais, 2001), épouse de l’écrivain André Miguel (Ransart, 1920 – Gembloux, 2008). À cette occasion, le Musée propose sur son site web un dossier pédagogique réalisé par Béatrice Libert à l’intention des enseignants et les éditions du Taillis pré publient, sous la plume d’Yves Namur et avec un avant-dire de Marcel Daloze, un catalogue très substantiel, richement illustré de reproductions, photos, manuscrits et lettres qui rend justice à cette créatrice aujourd’hui occultée : Cécile Miguel, une vie oubliée brosse le parcours existentiel de l’artiste, quittant avec son mari le Hainaut en 1947 pour le Midi de la France, où le couple, anticipant la vie bohème des beatnik, se liera d’amitié avec Jacques Prévert, René Char, Picasso et son épouse Françoise Gilot, Marcel Arland… Continuer la lecture

Henry de Groux devant les cochons

COLLECTIF, Henry de Groux (1866 – 1930), maître de la démesure, In fine – Province de Namur, 2019, 180 p., 32 €, ISBN : 9782902302086

« Cette peinture est si épouvantablement anormale, si prodigieusement en dehors des traditions ou des procédés connus, […] qu’on ne parvient pas à conjecturer de façon précise l’effet d’une semblable vision sur des êtres peu disposés à partager l’agonie d’un Rédempteur véritablement torturé. » Ces mots de Léon Bloy évoquent Le Christ aux outrages, toile monumentale réalisée par le Belge Henry de Groux. Continuer la lecture

Ekphrasis

Théo CASCIANI, Rétine, P.O.L., 2019, 284 p., 19,90 € / ePub : 13.99 €, ISBN : 978-2-8180-4743-9

Rétine, premier roman de Théo Casciani paru aux éditions P.O.L., séduira ceux et celles qui aiment sortir des sentiers battus. Ce roman est d’abord un concept : rendre compte d’un univers essentiellement artistique à travers le seul prisme du regard.

Les titres des différents chapitres, comme celui du livre, en disent long dans leur brièveté : Exposition / Images / Regard / Optogramme. Tout commence au Japon, au printemps bien sûr, que l’auteur connaît manifestement bien. Le narrateur débarque au Musée préfectoral de Hyōgo à Kyoto pour participer au catalogue et à la mise en place d’une exposition de l’artiste DGF (comprenez : Dominique Gonzalez-Foerster, jamais citée comme telle dans le roman. Artiste et réalisatrice française, née en 1965, DGF, qui réside à Paris et Rio de Janeiro, a une œuvre d’envergure internationale). Exposition intitulée… Rétine. Parallèlement à ce travail, le narrateur communique par écran interposé avec son amie Hitomi, installée à Berlin pour un cours… d’histoire de l’art. Tout se tient. Quand le lecteur la découvre, elle est nue. Muette. Théo Casciani la décrit comme il le ferait d’une sculpture. Il a troqué le pinceau pour le clavier, mais il se lance dans un exercice de style précis, concis, détaillé où la description prime. Une performance sur une autre performance, mise en scène par Hitomi avec l’apparition d’un chat qu’elle a teint en rouge. « Hitomi n’était plus qu’une image ». Continuer la lecture

Stéphane Mandelbaum : c’est derrière que tout se passe, pas à l’avant-plan

Anne MONTFORT (dir.), Catalogue de l’exposition Stéphane Mandelbaum, préface de Bernard Blistène, textes d’Anne Monfort, Gérard Preszow, Choghakate Kazarian, Bruno Jean et Pierre Thoma, notes d’Anne Lemonnier, Éd. Dilecta/Centre Pompidou, 2019, 153 p., 30 €, ISBN : 978-2-37372-079-2

À l’occasion de l’exposition Stéphane Mandelbaum qui s’est tenue ce printemps au Centre Pompidou et qui s’ouvre au Musée Juif (du 14 juin au 22 septembre), les Éditions Dilecta/Centre Pompidou publient un saisissant catalogue de l’artiste assassiné en décembre 1986 à l’âge de vingt-cinq ans. Qui rencontre les dessins, les gravures de Stéphane Mandelbaum fait l’expérience d’un choc sensoriel. La sidération et le trouble que ses créations induisent naissent de l’intensité dramatique de ses portraits, de la déconstruction qu’elles opèrent de l’espace et des formes afin de convoquer l’irreprésentable. La déroute des formes sous les forces d’un trait sismique se renforce par une articulation singulière du visuel et du textuel qui peut faire songer à leur alliance chez Jean-Michel Basquiat. Magnifiquement conçu, présentant une centaine de dessins, le catalogue montre, au travers des textes d’Anne Monfort, Gérard Preszow, Choghakate Kazarian, d’un entretien entre Bruno Jean et Pierre Thoma, des notes d’Anne Lemonnier  — certains ont connu l’artiste —, un univers stéphanemandelbaumien hautement chargé en vertiges. Continuer la lecture