Une bonne séance de musculittérature

Un coup de coeur du Carnet

Musculation, Magazine Lifestyle & Poésie, Éditions du Grand Dorsal, 140 p., 20€

Emballé sous son cellophane portant en pas moins de cinq langues la mention « Peut être ouvert pour inspection postale », voici un Objet Littéraire Non Identifié de la plus belle espèce, qui vient anaboliser le paysage revuistique liégeois, belge et universel. Musculation, Magazine Lifestyle & Poésie se présente en effet comme un « collector dès sa sortie de presse », « un titre de référence à l’épicentre d’une révolution culturelle, sportive et littéraire ». Ils sont gonflés, ceux-là, et pour cause : à force d’écrire avec un haltère dans la main gauche et un bras droit en plein mouvement de supination, le cou enfle un peu, forcément…

Poussons donc la porte de cette salle de conditionnement physique, afin de vérifier que la tête et les jambes y fonctionnent bien de concert… Et d’abord, partons à la rencontre de l’égérie du projet, cet être intrigant aux courbes sculpturales, enchaînant les poses athlétiques devant l’objectif, nous avons nommé Nathalie Gassel. À cinquante ans au compteur, Gassel explique comment elle est passée de la boxe thaï au bodybuilding, soit d’une rage destructrice nourrie de frustrations juste bonnes à torgnoler à la ferveur autrement constructrice du culturisme. Cette évolution l’amènera à considérer la dynamique de désir que suscite toute anatomie en contraction, en tension, en irrigation sanguine, en quête d’autodiscipline. Des extraits de la prose fermement bandée d’Éros-Androgyne et de Construction d’un corps pornographique émaillent cet entretien qui permet d’examiner sous tous ses angles l’une des voix et des postures les plus originales des lettres francophones.

Frédéric Saenen se hisse sur la deuxième marche du podium, flanqué de celle dont il nous révèle qu’elle déclenche en lui un insatiable processus fantasmatique, Madonna – du moins telle qu’elle lui apparut, sanglée dans sa guêpière noire, offerte aux regards de voyeurs-consommateurs, la cuisse bonne « à hagnî » dedans (en wallon dans le texte), dans le clip Open your heart, un bouleversant jour de janvier 1987. Où chorégraphie hot et prose portée à ébullition fusionnent au gré de leurs déhanchements respectifs…

Enfin, voici le défilé olympique : William, le mythique patron de la Salle Manhattan Gym à Liège ; l’avisé Docteur Pierre « Ray » Husson ; le match Amori Milmors (physiothérapeute) / Thibault Van Ack (ancien champion de bodybuilding) ; un salut à Mishima, une plongée en legging dans l’archéologie industrielle mosane, une salubre séance de Wellness avec Gautier Dassonneville. Il en faudrait énumérer trente autres pour être exhaustif.

Triple médaille donc pour un parcours sans faute. Dans cette publication à l’esthétique léchée (vous sentez l’arrière-goût de sel et de sudation sur l’apex de la langue ?), à la mise en page et à la typographie sophistiquées, au concept coaché pile poil, le corps se voit, promesse tenue, autant célébré que « cérébré ». Mais vraiment, il n’y aura pas de livraison n + 2 ?