Made in Normandie

William ALDER, Simenon et Maigret en Normandie. Perspectives historiques et sociales, Presses universitaires de Liège, Série « Littératures », 186 p., 26,5 €   ISBN : 9782875620989

alderGeorges Simenon est généralement lié, par ses lecteurs les moins avertis, à Paris, Liège et plus rarement à Manhattan. À la grisaille souvent. Si on le lit plus attentivement, on remarquera que sa géographie est indubitablement plus vaste et diversifiée. Elle peut même se teinter de couleurs chaudes, comme Paul Daelewyn l’a bien remarqué : la Côte d’Azur était un lieu de villégiature et d’inspiration pour l’écrivain. William Alder, professeur associé à l’Open University (Royaume-Uni), auteur de Maigret, Simenon and France, montre dans un essai (très) universitaire que la Normandie occupe une place privilégiée parmi les lieux simenoniens. Trois enquêtes de Maigret (Au rendez-vous de Terre-Neuvas, Le port des brumes, Maigret et la vielle dame) s’y déroulent exclusivement, une quatrième (Pietr-le-Letton) en grande partie. Plusieurs des histoires populaires de ses débuts (qu’il signait sous pseudonyme) et des romans dits « durs », ainsi que quelques contes et nouvelles y déploient également leur narration.

Simenon a séjourné une première fois en Normandie en 1925, lors de villégiatures estivales. Il y a pris le goût de la mer et d’Henriette Liberge, qui deviendra la bonne de la famille et l’une des maîtresses de l’écrivain. À Fécamp, il se fera construire un cotre de dix mètres sur quatre baptisé Ostrogoth. La naissance du commissaire Maigret paraît intimement liée à ce bateau. Le personnage aurait vu le jour lors d’une interruption inopinée de navigation, à Delfzijl (Hollande), en août 1929.

Dans ses romans, Simenon voit la Normandie d’une façon parcellaire : sa représentation de la classe ouvrière y est très sélective et il en néglige le versant industriel ainsi que l’arrière-pays rural. William Alder démontre, à contre-courant de ce que prétendent certains critiques et bien que Simenon se disait indifférent à l’histoire et aux repères chronologiques, que ses livres se nourrissent de l’histoire contemporaine française, et ce, à travers les « relations sociales » et « l’histoire sociale de la région dans toutes ses formes quotidiennes ». Précisons que si ces quelques romans ont paru tout au long de la carrière du romancier, la Normandie qu’il y peint est surtout celle de l’entre-deux-guerres, période où il y séjourna. Il n’y retournera plus après 1945. On le sait, Simenon était auteur à plonger en ses souvenirs, à se nourrir de ce qu’il avait connu, ressenti, absorbé plutôt qu’à puiser dans la documentation. Pourtant, il ne faudrait pas faire de lui ce qu’il n’est pas, un romancier régional. Ne se dégage de ces livres aucune identité normande. Comptent davantage pour lui les réalités/rivalités de classe. De Normandie ou d’ailleurs.

Michel ZUMKIR