Catherine BARREAU, L’escalier, Weyrich, coll. « Plumes du coq », 2016, 140 P, 14 € ISBN : 9782874894008
Vendredi 17h, une administration communale. L’escalier de sortie vers les parkings. Toutes portes closes. Soudain verrouillées par l’automatisme. Trois personnes s’y trouvent retenues, coincées. Pas moyen de sortir, les portes sont décidément bloquées, étrangement. Huis clos. Et toujours on sait ce qu’il en est alors : l’enfer des autres.
L’escalier, deuxième roman de Catherine Barreau, met en scène les portraits de trois personnages et surtout leurs relations dans cet espace confiné et sans échappatoire d’un escalier. Avec brio et grande efficacité, pas mal de drôlerie sarcastique aussi, et dans une écriture allant à l’essentiel, brève et factuelle, parfois proche de la didascalie théâtrale, très adaptée à cette situation où il importe d’être pragmatique et de trouver des solutions.
George est fonctionnaire communal, il existe sans vivre depuis deux ans dans « une défaite de lui-même ». Sa vie est « une vallée de larmes asséchées ». Il se croit loser et minable, il est devenu obèse depuis les ennuis de sa vie calamiteuse : « castré, maté, subordonné ». « À force de croire qu’il avait tout son temps, dit-il, il l’a perdu jusqu’à ce qu’il soit trop tard ». Il n’est pas sans qualité ni culture pourtant, nostalgique de la Ligue spartakiste et de Rosa Luxemburg. Il n’a simplement pas écrit son grand roman, par excès d’exigence, dit-il. Il n’a plus ses médicaments et se met à délirer.
Rita, la quarantaine, son caddie à bout de bras, revient d’avoir fait ses courses. Elle doit rentrer chez elle, inquiète de son homme, de ses gosses, de son souper à préparer, du supplément de parking à payer pour le contretemps. Elle a obtenu son diplôme primaire à trente ans et, mère courage, est décidée à « ne plus jamais se laisser marcher sur les pieds ». Elle a eu un enfant qui « s’est suicidé dans son ventre », elle a fait du théâtre-action aussi, elle se répare elle-même en s’occupant des autres.
Jean-Charles est un winner hargneux, un mercenaire de la finance méprisant ses comparses comme deux abrutis et parasites. Sa maxime : « c’est moi qui décide et choisis », une vengeance sur tous les fils-à-papa, lui qui s’est juré de devenir quelqu’un. Il était là pour un passeport, il doit se rendre aux Bahamas, et se retrouve dans une situation de vulnérabilité et d’impuissance qu’il hait absolument. Sa violence, c’est en réalité pour terrasser l’angoisse.
Entre les trois, des méfiances, des complicités, des détestations et de l’entraide. Un accident aussi et de la folie. Puis surtout : comment sortir de cet enfermement absurde ? Pas de réseau GSM, pas moyen d’appeler à l’aide. Et le temps qui passe, un jour, deux, trois, sous la lueur malade des néons de secours. Comment survivre ? Trouver de l’eau, et à manger. Heureusement, il y a le caddie de Rita. Mais elle veille sur son bien et n’a pas sa langue en poche. Comment se fait-il que personne n’arrive des parkings vers l’escalier, pour les délivrer ? Bien sûr le week-end, mais en ce début de semaine ? Quelque chose cloche. Est-il arrivé un malheur à l’extérieur, un cataclysme ?
Une narration serrée abordant chacun des points de vue successifs des personnages dans cet escalier symbole d’ascension ou de chute morale : dégradation des uns, réhabilitation des autres. Qui ? On le lira bien. Mais on sera touché par cette manière toute particulière qu’a Catherine Barreau de nous faire entrer dans la matière humaine de chacun des personnages, et dans une narration haletante qui emporte de bout en bout jusqu’à ce dénouement plongé dans le mystère.
Éric Brucher