De qu(o)i Patricia est-elle le (pré)nom ?

Geneviève DAMAS, Patricia, Gallimard, 2017, 136 p., 12 €/ePub : 13.99 €, ISBN : 9782072731792

damas patriciaPatricia est : le titre du troisième roman de Geneviève Damas, après le justement primé Si tu passes la rivière (Luce Wilquin, 2011) et Histoire d’un bonheur (Arléa, 2014). Son premier aux éditions Gallimard.

Patricia est : un roman polyphonique, choral, avec en son centre, une femme :

Madame Couturier, parisienne, bibliothécaire, amante d’un homme marié, vivant seule. Ou plutôt : ayant vécu seule jusqu’à. La rencontre, dans un drôle d’endroit, romanesque au possible :

Les chutes du Niagara / Niagara Falls. Où travaille clandestinement, dans les cuisines d’un hôtel, Jean Iritimbi, centrafricain. Dix ans auparavant, il a quitté terre, maison, collines, femme et enfants dans l’espoir d’une vie meilleure. Mais, comme celui de tant d’autres, son parcours migratoire sera semé d’embûches. À la clé : travail dissimulé et les siens, dans leur pays africain, restés. Dix ans après, il vit toujours, isolé, au Canada. Quand l’amour et la chance ; la chance et l’amour. En la personne de : Madame Couturier, en séjour solitaire.

Madame Couturier qui devient : Patricia. Femme téméraire. Obstinée. Femme à la vie bouleversée. Bouleversante. Une femme qui s’ouvre. Au monde extérieur. Jean Iritimbi et Patricia vont s’aimer. Il l’accompagnera en France.

De femme incolore, Madame Couturier s’est métamorphosée en : Patricia la Blanche. Elle s’est teintée de l’histoire et des tensions entre l’Europe et l’Afrique. Geneviève Damas ne feint pas un monde uni. Elle n’ignore pas que la fracture entre les deux continents va se nicher jusque dans les sentiments.

Patricia a été la chance de Jean Iritimbi. Grâce à elle – qu’il trahit – il a envoyé de l’argent à sa femme. Qui l’a conservé pour, un jour, entamer, à son tour, avec leurs filles, le grand voyage qui leur permettra d’être réuni.e.s.

La chance cha-vire au drame, à la tragédie, pendant la traversée. Seule Vanessa, la cadette, douze ans, aura la vie sauve.

Patricia redevient alors la chance de Jean Iritimbi ; et devient celle de Vanessa. Elle accepte de s’en occuper pendant que lui part à la recherche de sa femme et de son autre fille – ou de leur cadavre.

Vanessa ne parle pas. À Patricia. Ne parlera pas. Patricia est alors : le prénom tu par Vanessa. Quatre longues années durant.

Vanessa ne peut aimer Patricia ; comme son père n’avait pu s’y attacher.

Patricia, le roman, dit, dans une écriture précise, sobre, emphatique, ce que notre société fait aux êtres humains.

Notre société,

Une société,

Qui ne cesse de rejeter l’étranger,

De vouloir le tenir à distance,

Qui érige et ferme les frontières.

Ces frontières,

Font de certains hommes et de certaines femmes

Des sous-citoyens et des sous-citoyennes,

Transforment la mer en tombeau,

Séparent les familles à tout jamais.

Et les survivant.e.s, ils/elles font comment ?

Et des disparu.e.s sans cadavre, on en fait comment le deuil ?

Certaines et certains cherchent ceux et celles qui ont disparu,

Certains et certaines accueillent celles et ceux qui ont survécu,

C’est un combat pour les uns, les unes et les autres, à toujours recommencer,

Patricia est le nom de ce monde cruel ; de son humanité, aussi.

Un beau prénom, Patricia. Et un admirable roman.

Michel Zumkir