La grande maison du monde

Nicolas ANCION, Quatrième étage, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 224 p., 8.50 €, ISBN : 978-2-87568-269-7

ancion quatrieme etageLa littérature belge francophone compte bien des écrivains inclassables tant on se plaît chez nous à multiplier librement les expériences d’écriture. Nicolas Ancion est assurément du nombre, lui qui manifeste depuis plus de vingt ans une activité intense et dont, sa bibliographie en atteste, l’œuvre riche d’une quarantaine de productions se décline en romans, nouvelles, œuvres pour la jeunesse, poésie et théâtre. Il a droit aujourd’hui une nouvelle fois aux honneurs de la collection Espace Nord pour Quatrième étage, un roman paru en 2000 et qui avait obtenu le Prix des Lycéens.

Point de continuité du roman, un immeuble à logements multiples est au centre du récit. Nous sommes à Bruxelles, dans un quartier où la spéculation immobilière fait rage, et elle se manifeste dans le délabrement des édifices dans l’attente d’autres projets auxquels les occupants actuels seront bien entendu étrangers. Derrière les portes donnant sur les paliers, des vies se déroulent dans les espaces privés, des destins se jouent, la vie, la mort et les amours impriment leurs marques. Autre point de liaison entre tous, un propriétaire apparaît pour réclamer son dû, il affiche la ténacité féroce et l’absence de cœur qui complètent le portrait parfait de l’homme d’argent. La maison se délite de toutes parts, mais pas question de bourse délier tant que toutes les dettes ne sont pas réglées jusqu’au dernier cent.

Dans cet environnement instable et menaçant, une autre histoire dans l’histoire se joue. Thomas, un des occupants, est au chevet de Marie et, pour elle, il déroule chaque jour un épisode d’un récit sans fin qu’il alimente pour divertir sa belle et la soustraire à sa condition. En fait, très vite, les deux récits que nous découvrons s’entrecroisent et finissent par se confondre. De part et d’autre, la féerie côtoie le sordide, la fiction interroge la réalité et, nécessairement, le rapport au mensonge du conteur et de l’auteur. Il est question d’amour fou, d’une maison que l’on démolit en commençant par le dessous et qu’il vaudrait mieux quitter, d’un plombier d’un jour qui se croit abandonné par la chance et qui séduit une jolie fille, de bêtises inavouables. À ce jeu aux éclats de kaléidoscope, les clés de lecture possibles de l’œuvre ne manquent pas comme en témoigne la postface riche et enjouée de Nicolas Marchal.

On n’aura aucune peine à retrouver ici la marque de fabrique de Nicolas Ancion. Au fil des œuvres, il affirme les contours d’un univers où le rêve le dispute à la réalité, où la tendresse et la poésie résistent tant bien que mal aux déconvenues de l’existence. En toile de fond, l’auteur ne cherche pas à dissimuler sa rage face à toutes les manifestations de l’injustice sociale à laquelle il oppose la chaleur humaine, les solidarités, la révolte. Toutes valeurs qu’il n’a eu de cesse d’affirmer plus encore depuis la parution de Quatrième étage avec une égale générosité, donnant à son œuvre des tonalités qui confinent au manifeste social. S’ajoute à ceci une écriture dont la tonalité feint la candeur pour donner ensuite sans crier gare dans le grave, monter dans les aigües du rire ou distiller une douceur toute poétique. Cette personnalité littéraire hors du commun, affirmée avec sincérité et constance, fait de Nicolas Ancion un locataire incontournable de la joyeuse maisonnée de nos lettres.

Thierry Detienne