Henri DE MEEÛS, Pitou et autres récits, Marque belge, 2017, 637 p., 25€, ISBN : 978-2-39015-016-9
Avocat et criminologue, spécialiste d’Henry de Montherlant, auquel il a consacré un site internet et un ouvrage, Henri de Meeûs fait cet automne son entrée dans la littérature francophone de Belgique avec un copieux recueil de quinze nouvelles : Pitou et autres récits.
Pour la plupart ancrées dans un quotidien typiquement belge, ces fictions rejoignent une autre tradition nationale en ce qu’elles cultivent la fibre fantastique. Pitou, la nouvelle qui donne son titre au recueil, est emblématique. Le train-train quotidien d’un retraité installé à Coxyde est perturbé par un neveu garçon-coiffeur qui l’appelle au secours après avoir perdu sa mère (sœur du narrateur) et l’emploi qu’il convoitait dans un salon de l’avenue Louise.
Malgré son désir égoïste de préserver sa tranquillité, le narrateur accepte d’engager Pitou comme homme de compagnie, avant de s’apercevoir que celui-ci aime s’habiller en fille. Mais bientôt tout s’emballe : ayant échappé de justesse aux balles d’un tireur embusqué dans un immeuble voisin, Pitou est retrouvé égorgé dans un bunker sur la plage, alors que son oncle devient à son tour la cible du sniper.
En une centaine de pages, l’auteur passe de la chronique prudhommesque d’une vie réglée comme du papier à musique à la dérive d’une intrigue sanglante où la folie s’installe comme un grain de sable dans une mécanique huilée. Mais, le rideau retombé, la sècheresse d’un rapport de police vient bousculer la perspective et dynamiter la vraisemblance initiale.
Qu’elles soient longues (comme de courts romans) ou très brèves, les autres nouvelles cultivent des univers policés, bourgeois ou aristocratiques, ruinés par la folie, le désespoir ou la fatalité, ou des huis-clos à la tonalité absurde, ou encore des histoires de familles hantées de rancœurs tenaces ou de folies larvées… La fortune n’y préserve ni du malheur, ni de la démence…
Dans une langue raffinée, elles multiplient les destins solitaires, les misanthropies, les déceptions, les morts subites, les suicides, les meurtres discrets, en même temps qu’elles instillent le doute chez le lecteur qui se demande quelle part de fantasmes l’auteur a glissé au sein des intrigues.
Ici, c’est un futur marié qu’un dégoût submerge au moment de prononcer le « oui » qui l’engage, entraînant une immonde et mystérieuse maladie (Le mariage). Là, un père de famille désargenté gifle mensuellement son épouse quand elle lui demande des sous pour finir le mois et, du coup, la fille convole avec le fils de petite taille d’une famille aisée (Le petit mari). Là encore, invitée par ses sœurs au réveillon de la Saint-Sylvestre, Perpetua Moreels, sous les effets du vin et des avances d’un des convives, décède d’une embolie, sa fortune revenant momentanément à ses sœurs et à leurs soupirants (Les trois sœurs). Là enfin, l’héritier du duché de San Vincenzo apprend, de son oncle le prince Corsini, le suicide de ses parents. Réfugié chez le prince, il découvre que le fief familial est victime d’influences démoniaques et mortifères qui combattent la Papauté de surprenantes façons (Le prince et son neveu).
Combinant des qualités de style et d’imagination, alternant détails hyperréalistes, éclairs de mesquinerie, folie, héritages et moments d’horreur pure, Pitou et autres récits constitue une heureuse surprise…
René Begon