Gérard ADAM, Stille Nacht, M.E.O., 2017, 180 p., 16 €, ISBN : 978-2-8070-0137-4
L’approche des moments de fête exerce souvent un pouvoir aussi irrésistible que la célèbre madeleine de Proust. En effet, il suffit que retentissent les cantiques et autres mélodies associées à la fête de Noël pour que soient convoqués les souvenirs et que ceux-ci fassent surface avec une présence incroyable, effaçant les effets du temps.
Le narrateur, Yvan Jankovic, vient de rendre visite à sa mère en maison de repos alors qu’on y fête, avec quelques jours d’avance, ce moment familial par excellence. Lui, il va se retrouver seul, et ne sait pas encore dans quelles conditions il passera le réveillon. Un dérapage sur le chemin du retour le confronte à ses limites et l’incite plus encore à se replier sur lui-même. Qu’importe, il est déjà en compagnie de ses souvenirs et il nous les livre au gré de ses humeurs, intercalés dans le récit des jours qui le séparent encore du 24 décembre.
S’il est lui-même aux portes de la vieillesse (il va avoir septante ans sous peu), c’est à son enfance qu’il songe, et à ses racines familiales. À la rencontre de ses parents, en fuite d’Herzégovine, au travail de mineur de fond de son père, emporté tôt par la silicose, à ses jeunes années dans les quartiers ouvriers, à son métier de banquier un peu rangé, à ses amours, à son épouse emportée par le cancer il y a dix ans déjà. Son récit fourmille d’anecdotes bien senties, d’observations assorties de commentaires sur l’évolution de la société et des pratiques sociales. Ce volet du récit constitue à lui seul un tableau d’époque qui mérite le détour. Mais surtout, cet homme qui fait le point sur sa vie nous livre ses joies et déboires sur un ton libre, sans trop de complaisance sur son parcours, auquel il trouve peu d’éclat, mais qu’il considère avec une relative tendresse.
Ce voyage dans le temps est l’occasion pour lui de décrire un temps qui n’est plus, celui des Trente Glorieuses, de l’ascension sociale acquise aux courageux, de la conquête du confort, des espoirs permis. En mal de tendresse, négligeant ses repas, souffrant sans trop l’avouer de solitude, il mesure ce qu’il lui reste à vivre alors qu’il observe les ravages du temps sur la génération qui le précède et qu’il subit de plein fouet les paresses de sa prostate.
Dans cette attente un peu morose, mais aussi empreinte de mélancolie douce, la vie lui réserve encore une belle surprise et l’entraîne dans une improbable aventure d’un Noël inédit au pays de l’Yser. Histoire de prouver que tout n’est pas encore dit et que des pages restent à écrire.
Thierry Detienne