Pascal Chabot, des modalités de résistance

Pascal CHABOT, Exister, résister. Ce qui dépend de nous, PUF, 200 p., 18 €/ePub : 14.99 €, ISBN : 978-2-13-072976-1

chabot.jpgAprès son très remarqué Global burn-out, après L’Âge des transitions, le philosophe Pascal Chabot nous livre un essai ambitieux interrogeant les articulations à inventer entre existence et résistance.

À partir d’objets matériels tels que le verre, le siège, l’écran, Pascal Chabot déplie une analytique de l’existence qui montre combien le verre induit une relation entre dedans et dehors, distribue des rapports singuliers entre intérieur et extérieur. Henri Lefebvre, les situationnistes avaient pointé le rôle imparti à l’architecture dans la domination des corps et des esprits et déclaré qu’afin de changer la vie, il fallait changer la ville. Analysant les paradoxes d’une technologie qui nous dépossède de nos choix alors qu’elle prétend nous délivrer du coefficient de la finitude, triompher du destin, Pascal Chabot pose une tectonique de l’individu contemporain : multiple, il serait écartelé entre trois instances — l’instance d’un moi cherchant à trouver sa place au sein du système, celle d’un sujet clivé par les « ultra-forces de la mondialisation » et celle d’un soi ouvert sur autrui. « Que faire de nos impuissances ? Comment les retourner en résistance ? ».

La devise stoïcienne, convoquée dans le sous-titre, impliquant de nous soucier de ce qui dépend de nous, de ne nous préoccuper de ce qui ne dépend point de nous, nous laisse sur notre faim. D’une part, parce qu’avec l’avènement et le triomphe du technocapitalisme, la division posée par la sagesse stoïcienne est devenue poreuse, mouvante, d’autre part, parce que se rabattre sur le souci de soi laisse bien trop les coudées franches au « système » et à une mondialisation dérégularisée.

Le diagnostic du contemporain tient en une phrase: ce qui ne dépend pas de nous (tsunami, ouragan, crise économique…) dépend in fine de nous : de ce que nous posons comme choix de société, de ce que nous avalisons et acceptons des oligarchies financières et politiques.

En se rabattant sur le territoire d’un soi connecté à autrui et au monde, on risque de tomber dans la position de la belle âme qui, alors qu’elle clame son refus de la résignation à l’état de choses, se retire dans une posture (de l’ataraxie au zen) qui laisse prospérer le système et les « ultra-forces » avec lesquelles elle entend ruser. En « se changeant soi plutôt que la fortune » comme disait Descartes, le souci de soi encourt le risque de laisser tout en place, sans agir sur ce qui dépend aussi de nous — le système et l’emprise du néolibéralisme. Au XXIème siècle, la morale stoïcienne n’est que trop docile, pain béni pour un système et une mondialisation qui marchent main dans la main. We want more au sens où, face à la dévastation environnementale, aux violences économiques, socio-politiques, à l’insupportable imposé comme mode de gouvernementalité, nous ne pouvons nous contenter d’îlots de résistance intérieure. Nous avons à inventer des formes de lutte, des modalités d’exister qui rendent moins opérante la mise en place d’un façonnement de nos existences, d’un formatage de nos consciences.

Il n’est plus l’heure d’exhausser seulement le souci de soi, de cultiver son jardin, mais de reconquérir des libertés en s’alliant aux forêts, aux océans, aux non-humains.

Une attention soutenue pourrait être accordée à ceux qui ne veulent pas s’adapter à un système inique en lui-même et non sous l’impact de la mondialisation sauvage. Loin d’être le négatif des moi adaptés, ces voix antiestablisment font fuir le système, détraquent le diagramme des subjectivités en modifiant ses trois composantes.

Véronique Bergen