Un coup de cœur du Carnet
Éric CLÉMENS, Pour un pacte démocratique. Manifeste, Presses universitaires de Louvain, coll. « Petites empreintes », 2017, 94 p., 12 € / ePub : 8 €, ISBN : 978-2-87558-562-2
La démocratie commence « contre l’Un » avec la reconnaissance non pas du peuple uni, mais des divisions du peuple, de ses divisions entre individus, entre sexes, entre classes ou groupes, entre pouvoir(s) et société civile, entre valeurs, fonctions et moyens, mais de façon telle que le conflit ne tourne pas en violence.
(…)
Car (…) le « dissensus » une fois reconnu, le « consensus » doit être recherché et mis en œuvre si le but de la politique reste bien de permettre de vivre ensemble dans un monde en commun ou au moins partageable.
Depuis trente d’ans, des livres d’Éric Clémens reviennent sur la question de la démocratie, sur son impasse contemporaine, son renouvellement possible, sa régénérescence, l’émancipation qu’elle apporte, pourrait apporter, aux femmes et aux hommes, par-delà les convictions, intérêts et avis divergents. Car il n’y a pas de société humaine uniforme. Quelque chose, toujours, déborde. Ne rentre pas dans le cadre. Des opinions s’opposent quant à la marche à suivre, quant aux actions à mener.
Pour un pacte démocratique est un manifeste tout petit, tout compact. Un ouvrage à avoir en poche ou en tête, chaque fois que l’on est amené à débattre, à table, entre amis, ou dans des lieux publics, des impasses contemporaines de nos régimes démocratiques, des mutations et du renouveau nécessaires de nos actions et paroles politiques. C’est qu’il reprend, de façon limpide, les grandes lignes de la pensée de Clémens : mise en question de la démocratie représentative ; partage du pouvoir entre citoyens tirés au sort, élus traditionnellement élus, instances économiques et juridiques ; instauration d’un revenu de base inconditionnel ; méfiance quant aux changements trop radicaux, trop enclins à cliver, à exclure, de facto, les autres, ceux qui ne pensent pas comme nous, les invitant à dégager, à ne plus avoir voix au chapitre ; invitation, à l’instar de la démocratie antique, athénienne, à la mesure plutôt qu’à la démesure, donc, à la papote plutôt qu’à l’action violente ; etc.
Mais surtout, nécessité de considérer le fait que nous soyons humains. Êtres parlants. Êtres existant par-delà le biologique et l’économique. Êtres qui, par nature, ne peuvent se cantonner à la reproduction, à la survie, au fait d’être des variables d’ajustement ou des pions dans un bilan comptable.
C’est que Clémens aime à le rappeler : nous, êtres parlants, naissons imparfaits. Neuro-biologiquement imparfaits. Incapables de subvenir seuls à nos besoins. Incapables d’être au monde sans apprendre. N’arrêtant pas de le faire. Tout au long de nos vies. Utilisant, pour ce faire, du langage, des langues. Imparfaites, elles aussi. Ne devenant, nous autres, humains, pleinement humains, qu’à force d’apprendre. De nous frotter aux savoirs. Aux cultures et frictions érotiques. À tout ce qui déborde. Fait de nous des êtres symboliques autant que biologiques.
Intérêt, dès lors, selon Clémens, d’en tenir compte dans l’élaboration de nos démocraties.
Car ceci constitue notre unique socle commun. Notre unique point de convergence. La démocratie idéale ? Un régime permettant à chacun, chacune, de parfaire, en quelque sorte, son inachèvement. Comme elle ou il l’entend. Un régime visant à ce que tout un chacun s’émancipe en explorant, comme elle ou il l’entend, sa nature humaine.
Toute l’originalité – et l’intérêt – de la pensée d’Éric Clémens est de faire découler les propositions pratiques d’organisation sociétale de ce socle commun. Cela donne un cadre inédit et un outil bien utile. Permettant de jauger nos opinions. De mesurer si nos propositions, les nôtres ou celles des autres, apportent, plus ou moins, leur lot de liberté. Œuvrent, plus ou moins, à l’émancipation de tous et de toutes. Ou, tout au contraire, nous contraignent à subir un nouvel avatar de l’ « Un ».
Pour un pacte démocratique est un superbe manifeste. Plus que bienvenu. Une aide pour voir clair et faire le tri. Avancer dans le débat, à reprendre sans cesse, sur la démocratie à venir.
Vincent Tholomé