S’accroche-t-on Malgrétout ou Tantpis, c’est fini ?

Stanislas COTTON, La profondeur des forêts, Lansman, 2018, 48 p., 11€, ISBN : 9782807101845

cotton la profondeur des forêts.jpgSirius Malgrétout commence un nouveau job dans un magasin d’électroménagers. Il passe ses journées à parcourir les longues allées d’un hangar, à charger des frigos ou des lave-vaisselles, à pousser un chariot et à transporter le tout jusqu’à l’accueil. Un emploi fatigant et extrêmement répétitif : ticket allée numéro untel, emplacement untel – chargement – déplacement – livraison. Et on recommence. De plus, Sirius n’a pas vraiment le physique du déménageur. Un curieux personnage, Tommy Tantpis, le suit partout. Qui est-il ? Un fantôme qui le hante, comme le dit la légende ? Un mauvais cauchemar ? Un ami qui lui veut du mal ? Son propre double ? Le mystère reste entier.

Sirius tente de se faire une place au magasin, mais ce n’est pas évident. Les mecs qui bossent là sont de véritables armoires à glace qui n’en ont cure d’un petit gringalet comme lui. Une pichenette et voilà petit Poucet qui valse dans les airs. Seule Zelda Rose, une caissière, s’intéresse à lui. Ils lient amitié… et plus si affinités. Mais le passé de Sirius resurgit subitement. Qu’a-t-il donc fait de si cruel pour avoir été obligé de changer de nom, de ville et de vie ?

 

Stanislas Cotton nous prévient en préambule que cette pièce est librement inspirée de l’affaire James Bulger qui a secoué l’Angleterre en 1993. L’auteur imagine une suite à cet horrible fait divers. Inutile de revenir sur cette sordide histoire. Nous invitons le lecteur, tout comme Stanislas Cotton le fait, à taper le nom de cette affaire dans un moteur de recherche ou dans une célèbre encyclopédie en ligne. La pièce nous plonge au cœur de la problématique de la réinsertion et de la réhabilitation. Les crimes commis, aussi horribles soient-ils, ne peuvent-ils pas être un jour pardonnés ? Doit-on payer à tout jamais une terrible erreur de jeunesse ? Ne peut-on pas regretter ses actes ? De nos jours, la justice légale n’a pas toujours le dernier mot. Le tribunal populaire, bien plus rude, plus rancunier et sans pitié, ne manque jamais de rappeler leurs crimes aux coupables et de les leur faire payer. À moins que le pardon soit inacceptable dans certains cas ? Quand quelqu’un torture ou tue un enfant, on ne parvient plus à raisonner, les sentiments prennent le dessus. Mais que penser alors quand cet enfant est maltraité et assassiné par d’autres enfants ? La pièce pose de nombreuses questions auxquelles elle se garde bien de répondre.

Stanislas Cotton n’a pas son égal pour nous plonger, en peu de mots et avec sa plume inimitable, dans des histoires fortes où se croisent un univers poétique, parfois glauque et sombre, le conte et des thématiques tranchantes de vérité. Les humains sont souvent renvoyés à leurs plus bas penchants. La symbolique des noms est également très forte. Il est notamment question, dans la première scène, d’un Chat et d’un Renard qui s’en prennent au pauvre Pinocchio. Mais surtout : peut-on Malgrétout s’accrocher et recommencer, ou Tantpis, c’est fini, l’avenir est mort ? La pièce a été créée en février 2018 à l’Atelier 210, dans une mise en scène de Georges Lini (Compagnie Belle de nuit).

Émilie Gäbele