La bataille des mots

Olivier STARQUIT, Des mots qui puent, préface d’Alain Deneault, Cerisier, coll. « Place publique », 2018, 176 p., 12 €, ISBN : 978287267210-3

starquit des mots qui puent.jpgOutil de communication, le langage est aussi, nous prévient d’emblée Olivier Starquit,  dans son livre polémique crânement intitulé Des mots qui puent, « un puissant outil de domination ».

Le choix des mots, dans la vie politique, n’est jamais neutre, anodin. Ils nous environnent, nous pénètrent, nous orientent, sans que nous y prenions garde.

Et l’auteur de nous inciter à la vigilance, la résistance devant ces mots-valises, partout  ressassés, déformés, qu’il passe au crible « et parfois au picrate », de gouvernance à peuple. De nous engager au refus de « penser mou sous la férule de la gouvernance ». Car « la bataille des mots est indissociable de la bataille des idées ».

Au chapitre Le consensus, Olivier Starquit observe que la confrontation des points de vue, le débat, le conflit sont aujourd’hui évités, gommés, au profit d’une cohérence de façade. Les adversaires qui débattaient, s’opposaient, se sont mués en partenaires qui dialoguent. « La politique devient ainsi l’art du consensus. »

Il s’interroge ironiquement sur le succès foudroyant, devenu permanent depuis les années 1970, de La crise, invoquée à tout bout de champ, grâce à laquelle « une certaine idéologie du fatalisme fabrique de l’impuissance et de la résignation ». L’austérité serait l’unique remède à la crise économique et financière. « Bon nombre de citoyens sont convaincus qu’il n’y a pas d’alternative, ils se trompent. »

Sous l’intitulé Sauvage, vous avez dit sauvage ?, il s’en prend au déferlement médiatique du terme, délibérément excessif, accolé systématiquement à telles grèves déclenchées par les cheminots, qu’on pourrait traiter de spontanées, d’émotionnelles, au lieu de les décréter sauvages, prenant les usagers en otages, bref de les disqualifier et de susciter à leur endroit méfiance et peur.

Autre notion commentée : Le populisme. « Jamais mot aussi flou n’a été autant utilisé ces derniers temps. » Un concept-écran, qui dissimule une grande diversité de significations et d’usages. L’auteur ironise : « lorsque le peuple se comporte conformément aux attentes, il répond au doux nom de société civile. A contrario lorsqu’il se révolte, il se voit vite taxé de populiste dont il faut à tout prix se méfier. » Confiné à un sens strictement péjoratif, le populisme pourrait tout différemment témoigner d’une émancipation du peuple, n’acceptant plus que les élites pensent à sa place et voulant être « impliqué à la mise en œuvre de la démocratie ».

Se livrant à un examen du mot Politique, après avoir été interpellé par l’expression qui se voulait dénigrante de « grève politique », Olivier Starquit remarque que la grève l’est par essence, comme toutes les manifestations, luttes sociales, syndicales… Il s’agissait en fait d’établir « un amalgame entre politique et partisan ». S’arrêtant sur « le stigmate de la politique », « la post-politique »…, il conclut par le désir de stimuler les citoyens qui, loin de se décourager, de se détourner de la politique, s’en mêlent encore, décident d’agir, de participer.

Il y a du vrai dans cet ensemble d’analyses et de réflexions. Des exagérations aussi, dans les tirs du signal d’alarme et la tendance à noircir le tableau.

Mais être secoué s’avère bénéfique. Et une admirable citation de Confucius éclaire ce livre de combat, d’ardente (sauvage ?!) conviction : « Lorsque les mots perdent leur sens, les gens perdent leur liberté ».

Francine Ghysen