Alex LORETTE, Géographie de l’enfer, Lansman, 2018, 50 p., 11€, ISBN : 978-2-8071-0179-1
Franck, JC et Leslie vivent dans un trou perdu. Aucun voisin, aucune maison aux alentours. Que la nature à perte de vue, ses forêts, les bruits qui craquent, des hululements, le vent qui souffle. Rien qu’eux trois et leur profonde solitude, brisée parfois par des échappées au travail ou sur les routes. Qui sont-ils les uns pour les autres ? Deux frères et une sœur ? Un ménage à trois ? Des amis ? De simples colocataires ?
Un soir, Franck, le plus brave de la bande, ramène un gars qui a planté sa voiture sur une route près de là. L’homme en costard-cravate détonne face à la pauvreté du lieu et aux accoutrements des autres. Il est extrêmement taciturne, réservé, et accepte pourtant tout ce qu’on lui propose : l’hospitalité le temps d’une nuit, ou plus, les avances de Leslie… Cette dernière tente sa chance. Pour une fois que son monotone quotidien est rompu. Pour une fois que quelqu’un pose ses yeux sur elle, le regard de ses colocataires s’étant usé sur sa peau depuis longtemps. JC par contre ne voit pas cette nouvelle venue d’un très bon œil. Car qui est ce type au fond ? On ne sait rien de lui. Que faisait-il dans le coin, à la nuit tombée ? Les questions restent en suspens. Et qu’attendent réellement les trois locaux de ce nouveau ? Une résurrection ? Une échappatoire ? L’amour ? Ou n’est-il qu’une proie parmi d’autres ?
Alex Lorette dépeint un monde sombre, déclassé, en marge. Les pulsions de l’Homme, somme toute animales, se montrent dans leur état brut. La violence s’infiltre toujours insidieusement. Le lecteur plonge à certains moments dans un univers quasi fantasmagorique. C’est presque un retour à la nature. Peu à peu, l’intrus se dépouille de ses apparats. L’intrigue avance lentement, avec peu de mots. L’auteur place Leslie dans un rôle central : en plus de ses monologues lyriques et des extraits de L’enfer de Dante qu’elle récite, en italien, à plusieurs reprises, elle nous donne des clés de lecture et est vraisemblablement le pivot, le rassemblement de tous ces destins. Les thèmes récurrents de l’œuvre d’Alex Lorette sont présents : la question de l’identité, de la construction sociale de la réalité, ainsi que les rapports de force.
Émilie Gäbele