Captif

Bertrand MAINDIAUX, Le goût âpre de la poussière afghane, LC éditions, 2016, 214p., 17€, ISBN : 978-2376960034

4 juin 2012. Un avion militaire se pose dans une zone de guerre à Kaboul. À l’intérieur, François Weber, un représentant de l’ONG Secours International Belgique, invité à une conférence de deux jours devant fixer les termes de l’aide internationale après 2014. François est spécialisé en matière d’évaluation et de planification. Il a déjà beaucoup voyagé, mais c’est la première fois qu’il entre dans un territoire pendant un conflit.

Dès sa sortie de l’avion, ça ne rigole pas : les passagers sont escortés, ils reçoivent une avalanche de consignes, un badge obligatoire, une clé de sécurité pour leur tente. François apprend rapidement que le programme a changé : il n’assistera pas au début de la conférence pour rencontrer le chef de mission des Nations Unies afin de l’aider à peaufiner la proposition que ce dernier fera le lendemain.

Il sort satisfait de cet entretien diplomatique, mais sur le chemin du retour, il tombe dans une embuscade visiblement préparée. Le chauffeur est exécuté. L’interprète, un collègue et lui sont bâillonnés et enfermés dans un coffre de voiture. Les prisonniers seront rapidement séparés et une longue période de quatre mois de captivité commence pour François. Il est alors balloté de cave en cave, toujours transporté dans différents coffres de véhicules. Il est seul, dans le noir, vivant dans des conditions plus que précaires. Son obsession : sa survie. Tant que faire se peut, il s’efforce de garder la notion du temps, un niveau d’hygiène suffisant, un minimum de forme physique en faisant quelques exercices et une bonne communication avec ses ravisseurs. Pas simple. Les moments de léthargie et d’abattement alternent avec les moments d’espoir. Penser à sa femme et son fils l’aide à survivre seconde après seconde.

Parallèlement au récit du voyage et de l’enlèvement de François, nous assistons au parcours de Nizar Saqr, un Syrien arrivé en France en 1999 qui, après des années de chômage, se réfugie dans la prière et l’islam et bascule dans le djihadisme après avoir entendu un prêche convaincant et été jaugé par un recruteur. Il a enfin trouvé un sens à sa vie ! Il reçoit une série de « leçons religieuses » : il apprend des techniques d’infiltration, de filature, de transmission des informations, de maniement des armes… Il bascule peu à peu dans l’illégalité et part du jour au lendemain à Kaboul après un voyage de 15 jours pour brouiller les pistes.

Arrivé dans la capitale afghane, il reçoit des faux papiers et un accès aux bâtiments officiels grâce à des policiers locaux corrompus. C’est à ce moment qu’il achète François. Oui, vous avez bien lu : « Aux voix perceptibles, au ton employé pour s’adresser à lui [François], aux coups assénés, à la qualité et à la quantité de nourriture reçue, il dut bien en conclure que le prisonnier qu’il était faisait l’objet d’un marché. L’humanitaire, et toute la symbolique qu’il représentait, avait été converti en une chose déshumanisée à monnayer. » Le dialogue entre Nizar et François est brutal, décevant. Ils ne parlent pas le même langage.

– Et que croyez-vous ? Que le terrorisme va régler ce problème ?
– Nous avons essayé d’autres méthodes, mais nous n’avons jamais été pris au sérieux. À force d’humiliations, ce sont les extrêmes qui ont pris la tête de la lutte que nous menons. Les moyens employés sont justifiés par vos actes. Vous les provoquez. Nos attaques ne sont qu’une réaction à ce que vous faites, parfois plus sournoisement, en nous étouffant économiquement, par exemple […] Et ta société décadente et fourbe, quand va-t-elle faire sa propre analyse ? Quand va-t-elle reconnaître qu’elle produit le terrorisme qu’elle subit ? Elle ne veut pas se poser les bonnes questions, elle est trop fière, trop orgueilleuse, trop sûre de sa vérité ! À force de nous humilier et de vous voiler la face, je vais te dire : vous avez les terroristes que vous méritez !

De la suite de l’histoire, il vaut mieux ne rien dire de plus pour ne pas casser le suspense. Juste vous dire que l’auteur, Bertrand Maindiaux, a exercé une carrière militaire avant de travailler dans l’humanitaire, comme son héros. Il nous donne à lire une histoire inventée, dont tout l’intérêt réside dans le réalisme des scènes décrites. En passant par le rappel de faits historiques, les conditions économicopolitiques, les protocoles militaires, le modus operandi de la CIA, les idées défendues par les ONG et les djihadistes, on a un bel aperçu de la complexité de la guerre, de la cruauté des hommes et de la difficulté à trouver une solution à cette réalité.

Le goût âpre de la poussière afghane est un récit dur et intense qui nous rappelle que tout peut basculer d’une minute à l’autre et que même dans des conditions de vie extrêmes, la part d’humanité est présente en chaque homme, même infime…