Redécouvrir la satire dans la presse des années 1930

Amélie CHABRIER et Marie-Astrid CHARLIER (dir.), Coups de griffe, prises de bec. La satire dans la presse des années trente, Impressions Nouvelles, 2018, 222 p., 29,50 €, ISBN : 978-2-87449-636-6

Comme elle était vivante, foisonnante, percutante, la satire dans la presse francophone de cette époque !

Elle se déploie dans le livre-album Coups de griffe, prises de bec, qui en explore, par le texte et par l’image, toutes les facettes, de la gouaille à l’insolence mordante, de l’humour à la causticité, de la moquerie à la charge virulente, de la pochade à la caricature féroce.

Un ensemble détonant, passionnant, composé, sous la direction d’Amélie Chabrier et de Marie-Astrid Charlier, par une équipe internationale de chercheurs (France, Belgique, Canada).

Plongeant d’entrée de jeu au cœur du système médiatique des années 1930, dressant le contexte historique dans lequel il s’inscrit, l’ouvrage parcourt un vaste panorama de journaux francophones, français principalement, aux titres hauts en couleurs (Le charivari, Le rire, le Crapouillot, Gringoire…) dont se détache Le canard enchaîné, fondé en 1915, incarnant l’indépendance, la liberté frondeuse, toujours vivace et fringant aujourd’hui.

La satire connaît en cette période une vitalité, un retentissement, un rayonnement qui ne se limitent pas aux organes de presse spécialisés, mais s’affichent dans des hebdomadaires et journaux populaires.

En effet, « loin des idées reçues qui font que l’on lit cette décennie à la lumière de la guerre à laquelle elle a abouti, on rit dans les années 1930 et l’humour est alors présent aussi bien dans le journal que sur scène, à la radio et au cinéma ».

De qui rient les satiristes, journalistes et dessinateurs ? Avant tout, des hommes politiques, on s’en serait douté, cibles favorites, certains « promus » même têtes de Turc !

Léon Blum fut « LA tête de Turc française par excellence de la presse des années 1925-1939 ».

Parmi les traits marquants du paysage, on relève une radicalisation de la satire xénophobe, qui fait écho aux vagues d’immigration (Russes blancs, antifascistes originaires d’Italie ou d’Europe Centrale, les Juifs allemands), étrangers et Juifs devenant des boucs émissaires. De même prend corps la stigmatisation du colonisé noir, accablé des pires poncifs.

D’autre part, au cours de cette période, la presse satirique tend à assumer une nouvelle mission : enquêter, investiguer. C’est le cas du Crapouillot ou du Canard enchaîné, qui ne séparent pas satire et information rigoureuse.

Avec la guerre, tombe le crépuscule du rire sarcastique.

À la Libération, seul Le canard enchaîné reparaît, et, on s’en félicite, sans discontinuer jusqu’à nos jours.

Il faudra attendre une quinzaine d’années pour que la presse satirique imprimée renaisse de ses cendres…

Coups de griffe, prises de bec s’est donné pour but de sortir de l’oubli, remettre en lumière, en le rendant lisible pour le lecteur actuel, « un continent méconnu », selon l’expression de Paul Aron.

Un beau projet. Pleinement accompli.

Francine Ghysen