Où l’on découvre avec bonheur l’ébouriffant catalogue d’une toute neuve maison d’édition

David BESSCHOPS, Placenta, Cormor en Nuptial, 2018, 56 p., 18 €, ISBN : 978-2-96022-432-0

Christophe BRUNEEL et Thierry RAT, No Limit Tanger, Charnier philosophico-sonore, Cormor en Nuptial, 2018, 80 p., 22 €, ISBN : ISBN : 978-2-96022-433-7

Champagne ! Pas tous les jours qu’une nouvelle maison d’éditions fait irruption dans le paysage ! Pas tous les jours qu’une toute neuve, toute belle, maison d’éditons débarque avec autant de gouaille, autnt de parti-pris ! Pas tous les jours qu’une maison d’éditions décide de n’en faire qu’à sa tête ! Qu’à ne nous donner à lire que des OVNIS, objets verbaux et radicaux, cousus main, fabriqués maison, par d’authentiques amoureux du verbe, n’ayant que faire de plaire ou de séduire, suivant leur « ligne », leur rapport, tout perso, avec la langue !

On peut aimer ou pas aimer. S’effrayer de cette extrême radicalité. Trouver cela trop. Trop dingue. Trop nomade. Pas assez « poli », en somme. Pas assez « pour tout le monde ». Mais force est de reconnaître aux éditions Cormor en Nuptial qu’elles débarquent sur nos tables en frappant dur. Très dur. Objets soignés. Couvertures à grains qui accrochent les doigts. Catalogue de textes dingues, touchant au corps les lecteurs et lectrices. Textes à dire à haute voix, quasi. Textes hypnotiques où l’on se plait à suivre les méandres d’auteurs rares, stylistes géants et élégants. De grands inconnus valant plus que la peine.

David Besschops par exemple.

Sortant ici son Placenta. Un recueil de textes gravitant autour d’une famille ou d’une tribu. D’êtres vivant ensemble en tout cas. Mangeant ensemble. Baisant ensemble. D’êtres portant de drôles de nom. Mieux adaptés à leur vie, mieux adaptés à ce qu’ils sont qu’un simple prénom. Glissant, nous autres, lecteurs, lectrices, d’un texte à l’autre, d’une page à l’autre, dans les pensées et les actions de néné ou mon Monsieur ou la carington, dans les désirs de parkinson ou de fosse. Besschops prenant un malin plaisir à exploser l’affaire. À ne suivre aucune trame linéaire. Nous donnant à lire sa langue. Uniquement sa langue. Les circonvolutions d’un phrasé bien à lui. En tension. Toujours inquiet. Toujours drôle et mordant.

Que ne s’était-il emberlificoté dans les rossignols coutumiers de l’adolescence plutôt que de demeurer
le soir
à bout de pensées
esseulé près des bières singeant un avenir liquide et melliflu
(…)
Qu’importe donc qu’il se soit ensuite abîmé dans un souffle de révolte sans âne ni carriole à tirer. Ou que ni lunes ni émeutes n’aient émaillé son parcours avant que l’expectative de flotter à la surface de l’imbécillité ne le motive à s’approcher de

Dont la vulve jusqu’alors ne bêlait qu’un coin-coin timoré.

Cormor en Nuptial sortant encore, entre autres choses, à l’autre extrémité de la palette des langues, No Limit Tanger. Un recueil de six chants poétiques. Véritable opéra de voix. De langue moléculaire. De fatras de mots ou de bribes de pensées. Agglomérées les unes aux autres. Chants écrits à quatre mains par Thierry Rat et Christophe Bruneel. Deux experts en la matière. Deux experts en la manière. Écrivant ici de longues dérives d’apparence insensée. Fonctionnant à l’ouïe. Un mot donnant naissance à un jeu de mots donnant lui-même naissance, plus loin, une page ou deux plus loin, à d’autres mots, d’autres dérives verbales. Agglomérat de bruits et bruissements, ce No Limit Tanger est peut-être à lire comme si l’on entrait dans le disque dur d’un ordinateur un peu fou. Comme si l’on avait accès, en tout cas, à l’esprit de quelqu’un tournant à toute vitesse, enchaînant, vertigineusement, sans début ni fin, pensée sur pensée, interrogeant, à sa façon, notre présent, nos identités nomades et hasardeuses.

ET PUIS        ça saute         ça guingette              ça virevolte
et puis la radio active les sons
et puis les puits de l’abîme guettent les lumières nanoscopiques qui s’allument l’un l’autre, changeant de forme selon leurs envies / la structure des sons / la vibration du public… une frénésie collective s’installe dans une cohérence désinvolte… personne ne sait où il va qui il est…
(…)
et puis ça se broute les soies de soi et des autres

et puis ça s’éjecte des brosses à soie

Aucun idée, bien sûr, de comment évoluera le catalogue de Cormor en Nuptial. Aucune idée, non plus, de l’avenir de cette toute neuve maison d’édition. En retiendrai, déjà, pour ma part, son goût pour l’aventure. Son goût des langues extrêmes. À dix mille lieues du ronron médiatique. À dix mille lieues du consensus mou du genou. Des paroles lénifiantes sur la poésie. Son avenir. Son « devoir ».

Je croise ici les doigts pour que l’aventure dure longtemps. Quelques mois ou une paire d’années. Peu importe.

Vincent Tholomé