Un coup de cœur du Carnet
Célestin DE MEEÛS, Cadastres, Cheyne, 2019, 62 p., 16 €, ISBN : 978-2-84116-264-2

Le nouveau recueil sobre et épuré de Célestin de Meeûs est une vraie réussite ! Une belle surprise, une pépite presque, que les chercheurs d’or littéraire emporteront assurément dans leur besace. Parce que le lecteur-orpailleur est aussi un arpenteur, il emboîtera les pas de l’auteur dans le sillage des volutes de tabac qui semblent ici baliser le chemin à travers les rues des villes. Un itinéraire un peu secret que la poésie de Célestin de Meeûs dévoile par strates, par coupons citadins. Une poésie concrète, de terrain qui nous invite à scruter les lézardes laissées par le temps et les piétinements des voyageurs de passage dans un Occident qui s’épuise, comme à bout de souffle.
Au fond la ville avec enfouie en dessous
une autre ville faite de tunnels
et de tuméfactions, de temps transi
par l’addiction à la valeur travail
sous chaque architecture nouvelle
se cache un condensé d’ulcères
Partant du 50ème parallèle, les déambulations du poète s’écoulent, au fil du recueil, vers le Sud, Ceuta et Tanger aux limites du continent où
dans les cafés les vieux sirotent
en regardant les jeunes se défoncer
en plein midi
les plinthes se font la malle
et tout le monde porte la pipe
comme une jambe de bois
Dans les vapeurs des cigarettes et des alcools qui scandent les haltes dans les troquets jalonnant la route, le voyageur cherche sa voie dans le lacis des cités du Nord, cadenassées. Administrations et architectures étriquées auxquelles il est de plus en plus difficile d’échapper. Si, le voyageur, toujours en transit, redessine la carte de ses dérives, il ne peut cependant se soustraire aux mouvements migratoires qui viennent battre aux portes du continent comme le flux des marées qui portent « les corps lestés de tout leur manque ».
Cadastres impressionne par sa justesse de ton et par sa précision cartographique, celle d’une géographie tellement cadastrée qu’elle en vient à étouffer le moindre désir d’ailleurs. Et pourtant, même écorché, on repart encore et toujours !
Rony Demaeseneer