Sébastien FEVRY, Entre nous les proies les plus dangereuses, Cheyne, coll. « Verte », 2023, 89 p., 19 €, ISBN : 978-2-84116-330-4
Après la ligne qu’il avait adoptée dans Solitude Europe et Brefs déluges, Sébastien Fevry s’oriente vers un langage poétique nouveau en empruntant ses matériaux non aux grandes questions humanitaires, mais à l’un des plus vastes gisements imaginaires de notre temps : le cinéma. Chacun des textes d’Entre nous les proies les plus dangereuses, en effet, donne l’impression de décrire succinctement une brève séquence filmée, mais aussi sa résonance dans l’esprit et la sensibilité du spectateur. Continuer la lecture →
Louis ADRAN, La nuit de Neauphle où naître, Cheyne, 2023, 64 p., 17 €, ISBN : 9782841163281
Placé sous le signe de l’énigme (du dire, du vivre), s’ouvrant sur une citation de Marguerite Duras (« Ça rend sauvage l’écriture. On rejoint une sauvagerie d’avant la vie »), le recueil poétique La nuit de Neauphle où naître dépose un verbe qui est de l’ordre d’un regard éminemment tactile. Le ballet d’ombres humaines que Louis Adran convoque se voit nimbé d’un flou quant aux lieux, aux époques, aux personnages, aux actions. Dans une langue qui, hors de tout mime, fait l’épreuve de sa genèse, cette suite poétique scandée en quatre parties qui rythment l’avancée de la nuit nous entraîne dans des paysages forestiers, champêtres parcourus par des êtres tendus vers l’avènement d’une naissance. Dans la splendeur étincelante de l’écriture se découpent une fuite vers Neauphle, la rencontre de femmes, accoucheuses de « l’être nouveau », l’attente dans la nuit de l’été d’un événement qui rend le naître à lui-même. Continuer la lecture →
Jacques VANDENSCHRICK, Tant suivre les fuyards, Cheyne, 2022, 64 p., 17 €, ISBN : 978-2-84116-318-2
« Fuir. Quitter ce maître injuste. Se vouloir loin. Séparer les âmes. Distinguer les troupeaux. Refuser les pourquoi. La gardeuse de brebis l’a compris, qui cache bien en elle toutes les déesses. Alors l’homme, fuyant le maître, voit partout le visage de son frère usurpé. »
Célestin de MÉEÛS, Cavale russe, Cheyne, 2021, 80 p., 17 €, ISBN : 978-2-84116-309-0
Bruxelles, un « vieux vendredi d’avril », un vingt-quatre. Célestin de Méeûs prend la tangente pour une cavale russe qu’il effectue à rebours de Cendrars – s’expulsant du petit pays dont il « n’a jamais voulu rien savoir » pour se ficher, telle une épingle sur une carte, à Vladivostok. C’est des confins de la Russie, du plus extrême est, qu’il entreprend alors un retour vers Ostende et vers l’aimée. Gardien d’une photographie d’elle qu’il « criblera de doigts », c’est à elle qu’il s’adresse dans ce long poème démontrant que le souffle peut ne jamais mourir, déroulant implacablement des vers d’une exigeante soif de justesse. Continuer la lecture →
Louis ADRAN, Nu l’été sous les fleurs précédé de Traquée comme jardin, Cheyne, coll. « Verte », 2021, 96 p., 17 €, ISBN : 978-2841163052
Après un éblouissant premier recueil poétique Cinq lèvres couchées noires, paru aux Éditions Cheyne en 2020, Louis Adran nous plonge dans l’incandescence fauve d’un deuxième recueil, Nu l’été sous les fleurs précédé de Traquée comme jardin.
Qu’est-ce que la syntaxe ? Comment épouse-t-elle une autre langue après avoir consommé le divorce avec la langue officielle ? L’économie poétique de Louis Adran est celle d’un écrire qui rompt avec le dire. L’écrire surgit dans l’après-désastre, dans l’après-temps perdu et revient sur ce passé. Poussant plus avant le mouvement d’effacement, le poète inscrit dans le verbe même le frôlement d’aile du non-écrire, l’interruption de la lettre. Sa langue porte trace des guerres qu’on a menées contre elle, contre des populations, contre des corps, contre des paysages. Continuer la lecture →
Jean d’AMÉRIQUE, Atelier du silence, Cheyne, 2020, 17 €, ISBN : 978-2-84116-292-5
D’un instant tout possible remué, le poème gravit ses ruines et le ciel reprend besogne à héberger l’opaque.
Hypallages, paronomases, synchises ou hyperboles : à l’œil du lecteur de poésie averti, les nombreuses figures de style qui habitent le recueil Atelier du silence de Jean d’Amérique n’échapperont pas. Le préfacier de cet ouvrage, Jacques Vandenschrick, recommande pourtant : « Que chacun entame, loin des pédanteries théoriques, sa lecture buissonnière, libre et empathique quels que soient les apparents cahots de la sente. » Qu’à cela ne tienne, arpentons donc l’atelier du silence du poète. Continuer la lecture →
Après Solitude Europe, un premier coup de maître salué en Belgique et en France par plusieurs prix importants, Sébastien Fevry décrit dans Brefs déluges un monde guetté par l’angoisse, une sourde menace, des dangers latents.
Dans Solitude Europe, il évoquait la coexistence de deux mondes : au sein de nos sociétés de plus en plus closes sur elles-mêmes, sur leurs replis identitaires ou leurs peurs, l’évocation par petites touches du sort et de la place des victimes de l’Histoire y était un thème majeur. Le poète nous proposait une réflexion nécessaire sur la condition humaine, à travers le regard que nous devrions porter sur l’autre, miroir de notre propre identité. Continuer la lecture →
Louis ADRAN, Cinq lèvres couchées noires, Cheyne, coll. « Grands fonds », 2020, 80 p., 17 €, ISBN : 978-2-84116-281-9
Rarement les sortilèges du verbe se font sentir avec une telle fulgurance, une telle intensité à l’occasion d’un premier recueil. Premier ouvrage publié par Louis Adran né en 1984 à Beyrouth, le recueil poétique Cinq lèvres couchées noires délivre une sidérante puissance. Entre récit placé sous le signe du mystère et magie d’une langue réinventant ses lois, le recueil campe l’errance d’un groupe de soldats jetés sur les routes des villes, des campagnes, d’une guerre dont l’auteur tait la teneur. Continuer la lecture →
Tania TCHÉNIO (texte), Anne LELOUP (images), Regards fauves, Cheyne, 2019, 48 p., 15 €, ISBN : 978-2-84116-268-0
Est-ce un jeu ? Est-ce un choix ? Ou bien est-ce « comme ça » ? Anne Leloup hésite, cherche une réponse. L’illustratrice dit qu’elle sent assez vite que c’est bien… c’est ce qui convient. Après s’être imprégnée du texte qu’elle a lu, lu, relu et relu, elle s’en remet à sa main. À ses gestes selon les techniques qu’elle connaît et remet à l’épreuve par études successives. Le résultat, ce sont des courbes en droite ligne de ce qu’elle offrait déjà dans Le jardin en 1999 et qui font désormais sa patte, sa griffe ; entre CoBrA, art brut et art naïf. Continuer la lecture →
Célestin DE MEEÛS, Cadastres, Cheyne, 2019, 62 p., 16 €, ISBN : 978-2-84116-264-2
Le nouveau recueil sobre et épuré de Célestin de Meeûs est une vraie réussite ! Une belle surprise, une pépite presque, que les chercheurs d’or littéraire emporteront assurément dans leur besace. Parce que le lecteur-orpailleur est aussi un arpenteur, il emboîtera les pas de l’auteur dans le sillage des volutes de tabac qui semblent ici baliser le chemin à travers les rues des villes. Un itinéraire un peu secret que la poésie de Célestin de Meeûs dévoile par strates, par coupons citadins. Une poésie concrète, de terrain qui nous invite à scruter les lézardes laissées par le temps et les piétinements des voyageurs de passage dans un Occident qui s’épuise, comme à bout de souffle.
La revue NUNC prime tous les ans deux recueils de poètes vivants, l’un de poésie française, l’autre de poésie étrangère. Le prix de poésie française récompensera cette année un recueil publié en 2018 à compte d’éditeur. La première sélection, comportant dix-huit titres, reprend plusieurs poètes belges. Le nom du/de la lauréat-e sera révélé lors du Marché de la poésie de Paris, le 9 juin.
Sébastien FEVRY, Solitude
Europe, préface de Philippe Longchamp, Cheyne, 2018, 107 p., 19 €, ISBN
978-2-84116-261-1
Rares sont les livres de poésie qui affrontent explicitement les aspects ingrats de la vie contemporaine, qu’ils soient bénins ou dramatiques : attente du bus, passager clandestin d’un camion, recherche d’une station-service, épuisement professionnel, yeux rougis par la fumée, divorce des parents, etc. Tel est pourtant Solitude Europe, premier recueil de Sébastien Fevry, dont une des clés est peut-être donnée indirectement à la page 86 : « l’été où tu pris la décision de tenir un journal. » La technique, en effet, est celle de la narration décousue, effilochée, addition quotidienne d’anecdotes à première vue hétéroclites. À première vue seulement, car plusieurs constantes s’imposent vite. Essentiellement visuel, spatial et itinérant, l’imaginaire que met en œuvre cette écriture diariste est ponctué avec insistance par les motifs de la route, du véhicule, du parking, du zoning, du chemin de fer – les nombreux toponymes renvoyant aux États-Unis et surtout à l’Europe occidentale, principalement du nord : Arras, Amsterdam, mer Baltique, Caroline du Sud, Dubrovnik, Newcastle, Paris, Turin, etc. Il est aussi question de restaurants et de cafés, de salles de réunion ou de congrès, d’hôtels, d’un centre commercial, lieux de passage et de brassage humain où le « je » est tantôt acteur, tantôt simple témoin ou même voix off. Tout semble démontrer une intense activité humaine. Voici même un hôtel qui, la nuit, à l’insu de ses clients, « ébranle sa formidable masse / et remonte vers le nord »… Continuer la lecture →
Jacques VANDENSCHRICK, Livrés aux géographes, frontispice d’Alexandre Hollan, Cheyne, 2018, 56 p., 17 €, ISBN : 978-2-84116-256-7
Comme il l’a déjà fait plus d’une fois, Jacques Vandenschrick n’hésite pas à reprendre dans Livrés aux géographes une thématique qu’on aurait pu craindre élimée : la résurgence de souvenirs prégnants et le pouvoir impérieux qu’ils exercent aujourd’hui sur notre vécu intérieur. En langage poétique, il nous redit que la mémoire est une faculté par essence sélective, que la fiction s’y mêle indiscernablement au réel, qu’elle constitue non un meuble à tiroirs mais un « chaos » ; comme Marcel Proust dans La recherche, il vise bien entendu la mémoire affective, non la rétention de quelque savoir institué. Toutefois, c’est dans un postulat insolite qu’apparait vraiment l’originalité de sa démarche. Les traces du passé, écrit-il dans le prologue, se présentent sous l’aspect de « lieux » disparates : villages traversés, maisons d’amis entretemps morts, cimetières, magasins désertés, coins de nature à l’écart, etc. Ces lieux sont indissociables de personnes chères – parfois imaginaires – qui les ont habités ou parcourus, formant avec eux une sorte de consortium fantomatique. Ainsi le souvenir n’est-il plus envisagé sous l’angle de l’évènementiel, du narratif, mais comme fragment territorial : la spatialité se substitue à la temporalité, le tableau à l’anecdote, et la mémoire devient une entreprise topographique, certes fragile et aléatoire. Continuer la lecture →