Pour l’amour de Fatou

Éric-Emmanuel SCHMITT, Félix et la source invisible, Albin Michel, 2019, 232 p., 17 € / ePub : 11.99 €, ISBN : 9782226440013

Depuis toujours, Fatou N’Diaye était tout pour son fils Félix. « Maman constituait pour moi le pôle Nord, le pôle Sud, l’équateur, les tropiques… » « Mon seul recours, c’était Maman. Mon seul amour et mon modèle d’amour, c’était Maman. Ma religion, c’était Maman. »

Et voici qu’à douze ans, à la place de cette fée pétillante, aimante, rayonnante, il se retrouve devant une étrangère au regard éteint, abîmée dans une insondable mélancolie.

Les médecins ont diagnostiqué une dépression ; prescrit des antidépresseurs, restés sans effet.

Submergé d’angoisse, Félix alerte son oncle Bamba, qui accourt du Sénégal à Paris. Consterné de voir sa sœur chérie méconnaissable, enfermée dans une gangue de silence, d’indifférence, il interpelle rudement son neveu : « -Tu ne remarques pas que ta mère est morte ? ».

Certes, elle accomplit les tâches ménagères, prépare les repas, mais mécaniquement, absente aux êtres, au monde.

Fatou tient à Belleville un café où sa gaieté chaleureuse, son art d’embellir la vie faisaient merveille et dont les habitués forment une grande famille. Elle élève seule Félix, son « chef-d’œuvre », qu’elle a conçu, racontait-elle volontiers, avec le Saint-Esprit.

Le fait est qu’un capitaine antillais du nom de Félicien Saint-Esprit, de passage à Paris, amant furtif, revenu neuf mois plus tard, avait déclaré le nouveau-né à l’état civil avant de repartir sur son bateau.

Fatou avait clos là leur liaison, éprise de liberté, et préservant jalousement le duo mère-fils.

L’oncle Bamba n’hésite pas : il faut la ressusciter. Mais les marabouts consultés, aux méthodes prétendument magiques, se révèlent décevants.

Péripéties et rebondissements s’enchaînent, dont l’irruption du capitaine Saint-Esprit, « insupportablement beau », « prompt à s’enchanter de lui », ironise Félix, mais qui ouvrira une voie nouvelle, audacieuse, vers la guérison de celle qui ne l’a même pas reconnu : « Si elle doit renaître, ce sera de la terre où elle est déjà née. […] Seule l’Afrique pourra la soigner. »

Commence le grand voyage à trois, qui les mène au Sénégal, jusqu’au village où Fatou a coulé son enfance, père et fils Saint-Esprit guettant chez leur compagne les signes de réveil, d’attention, de sensibilité, qui tardent…

Vient à eux Papa Loum, le vénérable Féticheur, qui prodiguera à la malade ses soins, souvent mystérieux, et qui transmettra à Félix ses ferventes convictions : « L’Afrique, c’est l’imagination sur Terre. L’Europe, c’est la raison sur Terre. Tu ne connaîtras le bonheur qu’en important les qualités de l’une dans l’autre. » « Regarde au-delà du visible. Regarde l’invisible. Cherche l’esprit qui fait tout apparaître derrière l’apparition. Et nourris-toi de la force du monde qui le sous-tend. La source invisible demeure partout, toujours, où que tu te trouves, et tu peux la capter. Celui qui regarde bien finit par voir. »

À méditer. Au terme d’un récit (parfois trop) foisonnant, brassant allégrement aventures, horizons, couleurs, émotions. Imagination et raison !

Francine Ghysen