François DE SMET, Éros capital, Les lois du marché amoureux, Flammarion, coll. « Climats », 2019, 400 p., 21 € / ePub : 11.99 €, ISBN : 9782081422698

On voudrait y croire encore, on voudrait y croire toujours que : l’amour est le plus beau, le plus pur des sentiments, la divine idylle peut nous apporter le bonheur, nous emporter loin de la vie laborieuse, dispendieuse. On voudrait et puis des écrivains, des intellectuels brisent nos rêves. Ils nous font perdre espoir. Mais peut-être que sans espoir – ce qui ne signifie pas le désespoir – peut-on affronter la réalité au mieux, dans toutes ses dimensions. C’est ce que semble dire le philosophe François De Smet à la fin d’Éros capital, que ce que nous venons de lire « ne nous emprisonne dans aucun déterminisme ». On ajoutera : peut-être qu’il nous en libère. Mais que venons-nous de lire ?
Un essai nourri à la fois des sciences naturelles, de sociologie, d’anthropologie, d’histoire et de littérature qui démontre que la relation asymétrique homme-femme, depuis très longtemps, est un échange économico-sexuel. Les hommes auraient pour attrait les ressources et les femmes le sexe. Si cet échange a pu revêtir des formes évolutives à travers les siècles, il serait inscrit dans les gênes des êtres humains depuis la nuit des temps.
Pour soutenir cette thèse qui appelle à la nature là où nombre de sociologues et de féministes ne raisonnent qu’en terme de culture, François De Smet a utilisé la génétique et la théorie moderne de l’évolution. L’histoire est longue, alors résumons-la, au risque de la caricature : il fut un temps où les organismes étaient asexués. Puis il y eut des gamètes plus grands que d’autres. Ils se sont mis à en rechercher d’autres plus petits, plus vifs, plus nombreux, toujours disponibles. On voit où on veut en venir. À cette histoire d’ovules et de spermatozoïdes, d’engendrement et de perpétuation de l’espèce. Ces ovules, les femmes voudraient les voir fécondés par des hommes susceptibles de les protéger ainsi que leur descendance ; pour recevoir leurs spermatozoïdes, les hommes souhaiteraient des femmes jeunes et jolies – les plus fertiles possibles. Ce processus, on s’y tromperait, ressemble à la loi du marché, avec sa compétition, sa sélection et sa loi du plus fort. Dans notre société occidentale, l’idéologie des Lumières – la liberté et l’égalité pour tous – a atténué la brutalité de l’échange (sans l’annihiler) ; il a été notamment enserré dans les liens du mariage où la femme a été (est encore ?) dépendante financièrement de l’homme, obligée à la monogamie. L’amour, qui est à la fois l’origine et le ciment de couple, son désorganisateur aussi, masque ce qui se jouerait d’économico-sexuel, de capitaliste dans la relation homme-femme.
À l’opposé, la prostitution, sans fard, le met au grand jour. Et alors qu’aujourd’hui les femmes travaillent, peuvent enfanter et vivre seules, que les valeurs féminines nourrissent la psyché des temps présents, les hommes voient leur place bousculée. Malgré cela, ils ne changent guère et restent hantés par leur volonté de domination qu’ils retrouvent de façon consentie dans les jeux sexuels ou par force dans le harcèlement, ainsi que le mouvement Me too l’a mis au jour. De façon jusqu’au-boutiste, François De Smet se demande si « les termes de l’échange économico-sexuel – jeunesse et beauté féminine contre ressources masculines – n’ont jamais été aussi prédominants qu’aujourd’hui dans les faits, malgré leur condamnation par les normes et valeurs égalitaristes et de droits de l’homme ». Comme s’il en fallait une preuve, L’amour sous algorithmes de la journaliste Judith Duportail vient confirmer son propos. Selon elle, l’application Tinder présenterait le profil d’hommes matures et aisés à des femmes jeunes et de situation moindre plus systématiquement que l’inverse. Triste modernité ou immuable nature humaine qui cacherait le capitalisme jusqu’au fond de ses gênes ? La thèse de François De Smet penche pour cette seconde proposition…
Michel Zumkir