Quand la nuit enfle

Florence NOEL, frontispice de Pierre GAUDU, Solombre, Taillis Pré, 2019, 83 p., 14 €, ISBN : 978-2-87450-145-6

C’est durant la nuit que la poésie s’éveille ! Celle des amants, des enfants dont les « pattes nues» effleurent, tel un pinson apeuré, « le carrelage en damier », celle aussi des silences angoissés, des spectres, des attentes et des promesses que l’on ne tiendra peut-être pas. Attendant l’aube, la nuit se plaît à décliner les ombres solitaires que suggère le titre en forme de mot-valise. « Solombre », l’ombre au sol projetée, nocturne, la cache sombre du soleil noir, ou encore la nuit-ombrelle protégeant des strates de l’astre qui, on le sait, redeviendra carmin dès les premiers rayons du jour. «  Solombre », mot d’exergue extrait des Hommages et profanations d’Octavio Paz et que Florence Noël fait sien pour enclencher l’écriture. Mais c’est aussi dans la nuit que l’écriture scelle les serments, les longues histoires, toujours les mêmes, que l’on raconte aux enfants pour les rassurer, leur permettre de plonger dans la nuit des songes consolateurs. Comme pour les soustraire aux cauchemars qu’aiguise la nuit intraitable qui se terre derrière les tentures et que les contes balaieront « d’une aile ».

ce que la lumière acquitte à l’ombre
quand le jour s’aplatit
sous le grand rideau noir
et que la scène jouit un instant
immense de ce trouble
froid
où dansent l’amour et la souffrance
liés dans leur impermanence
contraire
nul ne le sait sinon toi
trahi par tes mains reprisées
de tant de baisers
pour si peu
de consolation 

Comme chez le poète mexicain, tout est affaire ici de contrastes. De tension entre « [c]es nuits nubiles » et les autres, vierges, adolescentes, enfantines. Ainsi, la seconde partie du recueil, Fourbure, qui présente une autre face, l’avers du cycle de la vie et de la mort, toujours recommencé, immuable, dans l’opposition banale des évidences,

finir n’est-ce donc qu’un cycle ?
mourir à la lumière
naître à ces brumes mouvantes
à l’arrière des grands saules
ta nuque bercée par leurs bras ballants ? 

Passant des ténèbres froides aux lumières ardentes, la poésie de Florence Noël est en quelque sorte climatique. « Sous une floraison de flaques », sous les frondaisons ou les gels, seule l’écriture traverse les saisons. Elle est seule capable, au fond, de rendre compte de la fulgurance du soleil sous le nuage ou d’une « cédille sous le ça ».

Rony Demaeseneer